No Country for Old Men de Joel et Ethan Coen | Une Russe à Paris
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vendredi 8 février 2008

No Country for Old Men de Joel et Ethan Coen

Ce film est une énigme. D'une virtuosité cinématographique certaine, il m'a tout de suite convaincu. Mais pourquoi? - telle était la question que me posa ma mère (qui a vu le film le même soir, mais 2000km plus à l'Est, quelle coïncidence!). Une fois qu'on a enlevé la forme, les références de genres (road movie, western, films de serial killer style Zodiac, etc.), qu'on a digéré les litres de sang déversé, que reste-t-il, au nom de quoi ont-ils fait ce film? Oui, ma mère a de ces questions... Bien évidemment, je ne suis pas obligée de convaincre toute personne n'ayant pas aimé un film qui m'a plu, mais là, j'étais intriguée. Car je ne pouvais pas y répondre! Alors, ça fait une semaine que je réfléchis, et enfin je peux vous livrer quelques résultats.

Evidemment, puisque ça fait maintenant des jours et des jours que c'est sorti et que tout le monde l'a déjà vu, ça ne sert à rien de vous dire "C'est génial, courez-y!" Ca sent un peu le réchauffé là. En revanche (et c'est là que ma mère a raison - c'est dur à reconnaître!), No Country for Old Men pose effectivement des questions. Je me suis dit que, au-delà des éloges pour la photographie, le scénario, le jeu des acteurs (Javier Bardem exceptionnel et méconnaissable), il y a des choses à dire sur le fond.

La première question c'est "Mais qu'est-ce qu'ils voulaient nous dire?" Après avoir réfléchi, lu ce que les gens ont écrit et parlé à tout le monde (y mi mamá también), voilà l'opinion qui me semble la plus intéressante conceptuellement parlant.

D'emblée, le film verse dans le symbolisme. Au début, Anton Chigurh tue un homme avec un pistolet pneumatique utilisé pour abattre le bétail. Il lui dit "Hold still" ("Ne bouge pas") avant d'appuyer sur la gâchette. Le plan d'après, c'est Llewelyn Moss qui vise une antilope dans la lunette de tir de son fusil, et murmure "Hold still" avant d'envoyer la balle. Aucun dialogue entre ces deux personnages différents qui, dans des lieux différents, tuent chacun un animal. La Mort est distribuée aux humains de la même façon qu'elle frappe les animaux. Anton ne serait pas un tueur à gages psychopate, mais l'incarnation de la Mort. Il y a une multitude de signes qui parsèment le film et qui l'indiquent (à qui veuille l'interpréter dans ce sens). Ainsi, lorsqu'il retourne sur le lieu de carnage dans le désert, il tue les "managers" qui y sont allés avec lui: peut-on voir la Mort et revenir? Notez bien que ceux qui le voient et ne meurent pas sont uniquement ceux qui ne savent pas qu'il est un tueur (la Mort).

(***SPOILER***) C'est pour ça que, lorsqu'il trouve Carla Jean et lui propose d'appeler pile ou face, elle refuse, en disant que ce n'est pas la pièce de monnaie, mais lui seul qui peut en décider. Ce à quoi Shigurh répond "I got here the same way the coin did" ("Je suis arrivé ici de la même manière que la pièce"): la mort serait alors à la merci de la nature tout comme nous; Anton doit tuer car nous devons tous mourir. Proposer le pile ou face, c'est le mieux qu'il peut faire pour ses victimes (repousser la mort mais non annuler son avènement). Ce pile ou face n'est cependant jamais dans les mains d'Anton: souvenez-vous d'une des dernières scènes, lorsque le cherif revient sur les scènes du crime. Il y a deux chambres, Shigurh se cache dans l'une d'entre elles. Bell (le cherif) choisit de rentrer dans l'autre (2 chambres = deux face d'une pièce de monnaie); la décision est alors placée entre ses mains, et Anton n'a pas plus de poids qu'un pile ou face.

La deuxième question concerne les rêves que Bell raconte à la fin à sa compagne. Le premier est très court mais crucial pour comprendre le second. Il se voit petit garçon qui va en ville, son père lui donne de l'argent pour acheter quelque chose, mais il n'achète rien et ne se souvient plus de ce qu'il a fait avec l'argent ("Maybe I lost it"). Ceci est à rapporter à la course-poursuite pour les $2 millions et le fait que Bell n'a jamais essayé d'avoir un peu de cet argent. Dans le deuxième rêve, il se trouve dans une vallée, la nuit, et son père passe devant lui avec une torche allumée, en s'enfonçant dans la noirceur de l'horizon, et Bell sait que, quand il aura traversé la nuit, il y trouvera de la lumière. Cette lumière dans la nuit, est-ce un signe que Dieu est entré dans la vie de Bell, comme il le disait à son copain Ellis (le gars en fauteuil roulant)?

Et est-ce que Shigurh n'a pas tué Bell car celui-ci a mené une vie lui permettant d'accéder à la lumière de l'au-delà? Il est évident qu'il n'y a que les morts qui ont la réponse à cette question. La question finale serait donc de savoir s'il y a un Dieu face à la Mort ou non (toujours dans le film, j'entends, on ne va pas verser dans des discussion générales d'ordre philosophique et/ou religieux!). Question ouverte.

Et puis, enfin, il y a la question plus "pratique": que s'est-il passé avec les $2 millions? Honnêtement, j'ai des idées mais aucune qui soit convaincante! Et vous?