(Théâtre) Figaro divorce à la Comédie Française | Une Russe à Paris
Une Russe à Paris

mardi 17 juin 2008

(Théâtre) Figaro divorce à la Comédie Française

Soirée spontanée et spectaculaire hier à la Comédie Française où j'ai vu la pièce "Figaro divorce" d'Ödön von Horváth (oui, je sais). Comme quoi, on n'est pas obligé d'attendre le samedi soir pour aller au théâtre - non mais, franchement, dites-moi: qu'avez-vous fait hier soir de si particulier et qui vous a empêché d'aller au théâtre? Et bien voilà, hier, mue par l'absence de réponse valable à cette question et après avoir pris un verre avec un copain place Colette, je passe à la caisse de la Comédie Française où le guichetier me file allègrement deux billets à 5 euros (il était au téléphone et n'avait absolument pas entendu les protestations dudit copain qui comptait me planter et aller végéter tranquillement chez lui devant la téloche). Bref, nous voilà avec deux billets pour le divorce de Figaro, 10 minutes avant le début de la représentation. Que diable, pourquoi pas? Une sortie au théâtre, ça n'a jamais tué personne, et puis, pour cinq euros, si jamais c'est mauvais, on peut toujours se barrer et aller regarder le match Pologne-Croatie (trop cool).

Qu'en est-il de la pièce justement? Comme vous l'avez peut-être deviné (ou entendu chez Claire Chazal), il s'agit d'un sequel de Figaro (après le Barbier de Séville où le comte Almaviva épouse Rosine, et le Mariage de Figaro où Figaro épouse Susanne) - mais, cette fois-ci, ce n'est pas de Beaumarchais, mais d'Ödön von Horváth, et personne n'épouse personne. Ici, je ne peux pas m'empêcher de raconter le destin tragique de von Horvath. Né en Croatie, de nationalité hongroise, élevé entre Belgrade, Budapest, Bratislava et Munich, écrivant et pensant en allemand, von Horvath fut un pur produit de l'empire austro-hongrois. Après l'arrivée des nazis au pouvoir, son oeuvre est frappée d'interdiction totale dans les théâtres et les librairies. En 1936, commence une longue errance en Europe qui se termine en 1938 à Paris... Mais non, pas du tout de la manière que l'on pourrait s'imaginer. Le 1er juin 1938, en sortant du Théâtre Marigny où il venait d'assister à une projection de Blanche-Neige de Walt Disney, von Horvath meurt... écrasé par la branche d'un platane arrachée par une tempête. Je sais, c'est tragique, mais on s'est tapé un gros fou rire quand même.

En tout cas, cette biographie illustre parfaitement ce qu'est la pièce: une errance tragique dans une Europe qui ne ressemble plus à elle-même, une vraie tragi-comédie comme on n'en fait plus. Après la Révolution Française, le comte et la comtesse Almaviva fuient la France, et Figaro et Susanne les suivent dans l'exil. Mais les affaires vont de mal en pire, l'argent finit, et Figaro et Susanne quittent leurs maîtres pour s'installer dans une petite ville de province où ils rachètent un salon de coiffure. Mais on ne peut pas y être accepté quand on est "divorcé et étranger", et les héros repartent de nouveau - chacun de son côté cette fois-ci. Les chemins des quatre personnages (ainsi que des personnages que l'on connaît du Mariage de Figaro - Cherubin (devenu barman), Franchette, Antonio...) s'entrecroisent dans ce que l'on identifie comme l'Europe post-1ère Guerre mondiale. Von Horvath livre ici une réflexion sensible sur l'immigration, le sort de l'étranger ("l'immigré ne peut pas se sentir chez soi, car il avait une patrie et il l'a trahie!"), les rapports humains de plus en plus difficiles dans un monde où le passé n'a plus aucune prise sur l'avenir et dont les débris encombrent le présent.

J'ai beaucoup aimé la mise en scène de Jacques Lassalle: même si le dispositif tournant en rond et montrant tour à tour différents intérieurs a déjà utilisé maintes fois, ici il trouve toute sa place pour illustrer une histoire qui se poursuit dans plusieurs dimensions (géographiquement et chronologiquement parlant). Bien que la pièce peine un peu à démarrer, le deuxième acte est absolument génial, avec une génialissime scène à la ligue internationale d'aide aux immigrés, puis celle dans un bar (berlinois?), aux lumières sublimes. La musique qui accompagne la pièce nous aide à sauter le pas du 18e siècle au 20e dans un mélange de Mozart, de jazz et de la musique de variétés des années '30.

Figaro divorce est une pièce chorale où aucun interprète ne tire la couverture sur soi, on y ressent un bel esprit de troupe. Quelques seconds rôles méritent des compliments, notamment la Juriste de Loïc Corbery et Denis Podalydès en Pédrille.

La pièce sera donnée jusqu'au 19 juillet cette saison, et sera reprise à partir du 18 décembre la saison 2008/2009. Vraiment, n'hésitez pas à y aller, c'est une vraie honte pour le public parisien qu'un tel spectacle ne fasse pas salle pleine (c'est loin d'être vide, mais il reste quand même pas mal de places). Si vous y allez en semaine, vous avez toutes les chances de ne payer que cinq euros et une grande possibilité de pouvoir vous déplacer vers une meilleure place (les places à 5€ sont vendues une heure avant le spectacle et jusqu'au lever du rideau).

En pratique:
La Comédie Française
Salle Richelieu - place Colette 75001
Matinée (14h) et soirée (20h30)