(Expos) Illuminations de Saul Steinberg à la Fondation Cartier-Bresson | Une Russe à Paris
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dimanche 15 juin 2008

(Expos) Illuminations de Saul Steinberg à la Fondation Cartier-Bresson

Récemment, une amie m'a prise au dépourvu avec une question inattendue: "Quel est ton musée préféré à Paris?" Quelqu'un vous a déjà demandé quel était votre musée? Pas le musée que vous trouvez bien, ou qui fait des expos pas mal, ou qui est joli de l'extérieur... Mais "votre" musée, celui où vous vous sentez bien voire chez vous, celui où vous aimez aller même s'il n'y a rien de particulier à voir... J'avais avancé le Centre Pompidou, sans grande conviction, et puis j'ai arrêté d'y penser. Et voilà qu'hier, tout à coup, j'au eu la réponse à la question que je ne me posais pas: mon musée, c'est la Fondation Cartier-Bresson. Oui, on peut chipoter, c'est une galerie de photo... Mais si l'on parle de lieu, d'atmosphère, du choix des artistes, de l'accueil, du quartier - sans hésitations, c'est elle!

L'exposition qui est à l'origine de cette grande révélation est celle consacrée à Saul Steinberg, l'illustre illustrateur, photographe, artiste, et grand ami de Cartier-Bresson. Intitulée "Illuminations", cette rétrospective voyage dans le monde depuis voilà deux ans; Paris est sa première escale européenne. Je ne connaissais pas Saul Steinberg, et j'ai découvert un artiste intéressant qui a construit autour de lui un monde particulier où toute chose, tout sentiment, toute différence peut transparaître à travers un seul coup de plume sur le papier. Le dessin "A view of the world from 9th avenue" (ci-dessus - cliquez sur la photo pour la voir en grand) est probablement l'un des plus connus et reproduits de Saul Steinberg qui a travaillé pendant de nombreuses années pour la revue The New Yorker. Mais mon préféré est probablement "Techniques at a party" (1953) où différentes techniques de dessin sont employées pour montrer les différences entre les gens dans un cocktail new-yorkais (à droite).

D'une apparence simple et sans prétention, ces dessins sont à chaque fois révélateurs d'un phénomène de société, d'un mode de pensée, d'un stéréotype. Et à chaque fois, il y a un certain laps de temps qui s'écoule entre le moment où l'on contemple le dessin pour lui-même et le moment où l'on comprend ce qui se trouve derrière: une histoire. Car, pour moi, Saul Steinberg est avant tout un écrivain de l'ombre: derrière chacune de ses œuvres se cache l'histoire d'une vie, d'un pays, d'une famille, d'un objet, d'une idée - et, en regardant le dessin, nous sommes capables, comme par miracle, de la reconstituer et de nous la raconter - comme quand nous lisons un livre en s'imaginant de quoi ont l'air les personnages et leurs maisons.

Parmi les histoires racontées par Steinberg, la sienne revient souvent: celle d'un juif roumain, fils de fabricant de boîtes d'emballages kitsch ornées de copies d'œuvres d'art, ayant étudié en Italie puis traversé le monde en 1941, fuyant le fascisme, de Saint-Domingue à New-York. On y retrouve alors, avec une constance obsessionnelle, des motifs de visas, de passeports, de diplômes, de faux tampons, mais aussi des collages (seul héritage de son père sera le goût pour ces images découpées et collées avec malice sur un dessin); des personnages d'enfance - comme les deux héros de l'Angélus de Millet, dont il reprend les silhouettes penchées en prière pour en faire un tampon qu'il apposera ensuite sur ses nouveaux souvenirs, des cartes postales avec des paysages d'Amérique. On y retrouve aussi des annuaires téléphoniques des endroits où il a vécu ou voyagé - Londres, Samarkand... Mais aussi des livres qu'il a lus (comme ce volume de Dostoïevsky en roumain), recréés en bois et soigneusement rangés dans un secrétaire fantôme. Un univers touchant et bavard, rempli de petits objets et de personnages que l'on ne se lasse pas d'observer.

Puis, on arrive au 3e étage, celui qui ne change jamais: face à une baie vitrée, trois fauteuils de Le Corbusier sont disposés autour d'une table basse avec des albums photos, la salle est inondée de lumière. Sur les murs, des photos de Cartier-Bresson, toujours les mêmes; son vieux Leica trône dans une vitrine. Je suis chez moi.


En pratique:

La Fondation Cartier-Bresson
2 impasse Lebouis
75014 Paris

Pour en savoir plus: le site de la Fondation Saul Steinberg. Un bel article dans le New York Times.