Du temps, des livres, de l'air | Une Russe à Paris
Une Russe à Paris

lundi 17 novembre 2008

Du temps, des livres, de l'air

"Les livres nous obligent de perdre notre temps d'une manière intelligente".
Mircea Eliade


Ces derniers jours, une vague sensation de repli (ça doit être la crise ?) Je fais une overdose d’actualité. Je lis des livres qui ne datent pas de la dernière rentrée littéraire (en l'occurence, 84, Charing Cross road - une merveille dont je vous parle sous peu), vois des films qui ne datent pas d’hier (Riens du tout et Ni pour, ni contre, mais bien au contraire de Cédric Klapisch), dîne non pas dans un restaurant "qui vient d'ouvrir", mais dans celui où j'ai déjà été dix fois et où je commande toujours la même chose (restaurant dont je tairai le nom, je suis égoïste et ne veux pas que Tout Paris vienne occuper les quelques places de ce minuscule paradis gastronomique. J'ai la douce folie de croire que le Tout Paris lit mon blog).

Je suis allée voir un film au festival du cinéma russe (complet une heure avant le début de la séance) et ai quitté le navire bredouille en emportant une brochure annonçant la programmation des "100 plus beaux films de l'histoire du cinéma" au Reflet Médicis, cette année. Bingo! Après réflexion, je verrais bien Citizen Kane plutôt que l'Echange.

Puis, enfin, ce matin, je lis le blog d'Elsa (que j'adore), et que vois-je? Un joli mot sur le temps perdu, le temps rattrapé, "ce temps que je récupère miraculeusement en me décommandant à la dernière minute", "ce plaisir indicible de disposer soudain d'un temps que vous aviez cru perdu". Ca y est, je commence à comprendre... Après l'écologie et l'impératif d'économiser les ressources naturelles, l'ordre du jour (mon ordre du jour personnel) sera à la lutte contre le gaspillage du temps!

L'autre jour, je me disais, en lisant 84, Charing Cross Road, que cela me prenait le même temps de lire un livre que de lire un magazine; que la pile des Télérama à peine feuilletés qui s'amasse au pied du canapé équivaut, en termes de temps, à deux bons tomes de Pléïade... et que je devrais peut-être me résoudre à résilier mon abonnement, à arrêter de suivre l'actualité des expos, à aller voir un musée où il n'y a AUCUNE expo, comme ça, pour changer, et à écouter ENFIN le coffret intégral de Mozart que j'ai acheté l'année dernière et dont j'ai dû écouter cinq ou six sonates. Que je devrais arrêter d'essayer d'écrire en gardant trente onglets de navigation Internet ouverts. Et, de temps en temps, s'installer dans un café, prendre un café crème, un bon livre et, ainsi isolée dans ma bulle, plonger dans une histoire dont la profondeur n'aurait d'égal que la platitude de l'actualité. Ce serait pas mal, tout ça, non ?

En lisant La quatrième Vologda de Chalamov (un grand écrivain russe - en passant, lisez ses Récits de la Kolyma si vous ne connaissez pas), je suis tombée sur un passage où il décrit ses soirées d'adolescent. Que fait donc le jeune Varlam ayant obtenu la permission de rentrer tard le soir? Non, il n'en profite pas pour aller en boîte ou organiser une soirée jeux vidéo chez des potes. Il passe la soirée chez un copain qui a la chance d'avoir une vraie bibliothèque, et ils s'enivrent alors de... La Chanson de Roland. Incroyable, non? Le tout se passe à Vologda, une ville de province du Nord russe, au début du siècle.

On n'arrête pas le progrès, certes, mais parfois j'ai l'impression que l'on devrait.

PS: j'écouterais quand même tous les matins Ali Baddou sur France Culture pour garder un oeil une oreille sur le monde.

Crédits photo: Alfred Cromback, www.alfred-cromback.com