De l'art d'aimer les navets, ou comment le cinéma s'invite dans la cuisine | Une Russe à Paris
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jeudi 26 mars 2009

De l'art d'aimer les navets, ou comment le cinéma s'invite dans la cuisine

Hier matin, j'écoutais Gilles Jacob (président du festival de Cannes) dans Les Matins de France Culture - il était invité à l'occasion de la sortie de son livre La Vie Passera Comme un Rêve. A un moment, il a dit: "Quelque part, il est délicieux de voir un navet, car dans n'importe quel film, aussi mauvais qu'il soit, il y a toujours une scène, un plan pour lequel cela valait la peine de voir le film".

Quel soulagement pour tous les cinéphiles, qui ont certainement avalé beaucoup plus de navets que de truffes lors de leurs expériences dans les salles obscures...C'est finalement ce que j'ai toujours pensé sans jamais le dire (évidemment, c'est pour ça que c'est Gilles Jacob qui sort le bouquin et pas moi). En sortant d'une séance de cinéma, j'ai toujours combattu les gens qui ne peuvent sortir qu'un "je me suis fait chier" ou un "c'était longuet" pour essayer d'attirer leur attention sur tel acteur, telle scène, tel moment inattendu. Finalement, même le plus grand navet de tous (attention, opinion subjective!) - "Un film parlé" de Manoel de Oliveira, valait la peine d'être vu car il est, depuis trois ans, LE pire film que j'aie vu, indétrônable, et il met en valeur tous les autres films que je vois.


On appelle communément les mauvais films un "navet" (légume réputé sans goût, son nom fut d'abord attribué à toute mauvaise œuvre d'art, puis s'est uniquement appliqué aux films). J'en suis venue à me remémorer tous les navets que j'ai vu, en essayant d'y trouver, comme disent les Américains, "a silver lining" (une doublure argentée, i.e. un bon côté). Et, apparemment, il suffirait de peu pour transformer n'importe quel navet en, disons, une succulente tarte tatin aux navets! (pour les intéressés, recettes ici et ici).

Les navets dans le monde

Connaissez-vous le "Turnip Prize" ("Prix du Navet")? Ce prix absolument génial récompense les œuvres d'art "volontairement mauvaises" et faites avec "un minimum d'effort". Vous pouvez voir les œuvres des participants ici (d'ailleurs, vous verrez, certaines ont été disqualifiées car ayant demandé trop d'efforts) et celle du gagnant 2008 ici. Fondé dans le Sommerset pour singer le célèbre Turner Prize, le Turnip Prize se matérialise en la figure... du navet (turnip voulant dire "navet" en anglais) - cf photo ci-dessous. Comme quoi, le navet serait international? Ce n'est pas pour rien que l'on dit, en russe, "plus facile que faire des navets vapeur".

Effectivement, il est parfois plus facile de fabriquer un navet que de l'apprécier ensuite! (ou bien j'espère que les grands studios ont autant souffert à faire "Les Passagers" que moi à le regarder). Mais, apparemment, les apprécier, ça s'apprend, et l'exemple de Gilles Jacob m'inspire pour continuer à prendre le risque dans les salles obscures. Le cinéma est mon casino...

Illustration:  le vainqueur 2007 du Turnip Prize contemplant amoureusement son prix.