
Snow, New York, circa 1960
© Saul Leiter / courtesy Howard Greenberg Gallery
Vous ne pouvez pas vous imaginer ce que c'est dur d'écrire sur lui, j'ai tellement de choses à dire, et pourtant je n'arrive pas à décrire ce que l'on ressent devant ses photos. Fils de rabbin, il était destiné à des études religieuses. Mais voilà que, à 13 ans, sa mère lui offre son premier appareil photo. C'est le déclic, car Saul Leiter est né photographe. Observateur, il pratique son art en cachette, incompris et ignoré par son père. Plus tard, à New York, il continue à sillonner, avec son appareil photo, les rues du quartier d'East Village où il habitera toute sa vie.
"Être ignoré, c'est un grand privilège", dit Saul Leiter, et il en sait quelque chose: privé de toute ambition, il ne cherche pas la gloire, si bien que son œuvre a été oubliée pendant près d'un demi-siècle où il n'était connu qu'en tant que photographe de mode. Se sentir ignoré lui donne la chance de ne pas ignorer les autres: avec son objectif, il attrape une silhouette dans le mouvement de la foule, dans le flou d'une rue enneigée, dans la solitude d'un café désert, et en fait une figure centrale. Ou pas. Car il ne connaît jamais d'avance le centre de gravité de chacune de ses photos: il agit à l'instinct, appuie sur le déclencheur sans se poser des questions de composition. Ce n'est qu'ensuite qu'il découvre le cliché qu'il a mis au monde (quoi de plus naturel comme démarche, vous ne trouvez pas?): il remarque un détail: un visage, un pied, une fleur - bref, tout ce que nous n'aurions jamais remarqué s'il n'était pas là pour nous. Son pouvoir, c'est de révéler ce qui est ignoré.
La meilleure manière de regarder ses photos est de ne jamais en lire le titre avant d'avoir regardé la photo elle-même. Cherchez. Devinez. Vous pensez avoir trouvé ce qui attira Saul Leiter lorsqu'il a appuyé sur le déclencheur? Maintenant, regardez le titre de la p

On devine aussi, à travers ses clichés, sa personnalité: jamais il ne photographie le ciel, un gratte-ciel, un arbre - son objectif est toujours au ras du sol ou en contre-plongée; ses sujets de prédilection - les pieds, les silhouettes de dos, les reflets... Il crée caché de la vue de tous: sous un abri, derrière une porte, à travers les escaliers, du haut d'un balcon - il me rappelle curieusement Grigory Sokolov, pianiste génial qui, salue toujours en se cachant derrière son piano (une scène qui m'émeut à chaque concert), contrairement à l'attitude que d'autres pianistes de la même envergure puissent avoir vis-à-vis du public.
Des clichés en noir et blanc et ceux en couleur sont séparés mais datent des mêmes années: on reconstruit alors peu à peu les formes et les couleurs de ce New York des années 50. Il a l'air parfois désert, souvent dur, parfois absent, mais toujours dans l'air.
Vous avez jusqu'au 13 avril pour pour découvrir les clichés de Saul Leiter à la Fondation Cartier-Bresson (le bon plan, c'est d'y aller en nocturne mercredi - et en plus c'est gratuit). Sinon, feuilletez un des albums

Voir quelques autres photos ici et un groupe Facebook consacré à Saul Leiter ici.
En pratique:
Fondation Cartier-Bresson
2 impasse Lebouis (Métro Gaîté, Edgar Quinet)
75014 Paris
Du mardi au dimanche de 13h00 à 18h30 - dernière entrée 30 mn avant la fermeture
Le samedi de 11h00 à 18h45
Nocturne le mercredi jusqu’à 20h30
Fermé lundi