(Livres) La Corde et la Pierre des frères Vaïner | Une Russe à Paris
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vendredi 13 juin 2008

(Livres) La Corde et la Pierre des frères Vaïner

Arkadi et Gueorgui Vaïner sont de frères écrivains qui, dans les années '70, fournissaient tout l'URSS en polars. Des polars bien honnêtes et bien ficelés, car l'un des deux fut écrivain, et l'autre fut juge d'instruction (et que leurs romans étaient bien évidemment relus par leurs collègues bien documentés). La Corde et la Pierre est un polar, lui aussi, mais un polar bien particulier.

Tout d'abord, c'est un polar historique où l'on recherche les coupables d'un meurtre survenu trente ans auparavant (1938). Puis, le meurtre en lui-même: celui de Solomon Mikhoels, grand acteur et metteur en scène, fondateur du théâtre juif d'Etat et président du comité juif antifasciste - ce meurtre annonçait les grands procès antisémites de Staline. Question juive, donc. Un sujet épineux dans les années 1970 où fut écrit le roman. Mais surtout, La Corde et la Pierre est une dénonciation de la misère morale et matérielle de l'homme soviétique, de son existence petite et humiliée, des méthodes du parti et du KGB. Une vraie encyclopédie de la vie des années 1970, un roman noir - pas tant par les meurtres qui y sont décrits, mais par l'atmosphère qui y règne.

Ce qui me passionne surtout ici c'est cette petite "évasion littéraire" qu'on commise les frères Vaïner avec ce roman qui, écrit en 1975, ne fut publié qu'après la perestroïka. Comme "Vie et Destin" de Grossman, il a traversé les années de marasme socialiste sur des microfilms, et n'avait jamais été montré à personne. Ceci explique à la fois ses qualités et ses défauts: un vrai journal d'un écrivain désespéré dans la Moscou des années 1970, le roman transmet parfaitement l'ambiance de l'époque, restée complètement intacte grâce à cette conservation "façon Pompéï" (ou "façon Tchernobyl", si vous préférez - à l'époque, les gens avaient déserté la ville laissant leurs appartements, leurs vêtements, leurs pots et casseroles - ce qui fait que maintenant certains malins font du "tourisme" à Tchernobyl pour voir le quotidien soviétique conservé en l'état... mais je divague). Les défauts sont également dus à la façon dont le roman fut écrit - en secret, sans relecture. Il est parfois trop verbeux et se perd en vapeurs éthyliques et questionnements stériles trop répétitifs: il manque clairement un "final cut", ce qui fait qu'à un moment on commence à tourner en rond et à tourner les pages à une rapidité incroyable. Si je me souviens bien, l'investigation du meurtre en soi commence vers la 300e page.

Il n'empêche que l'histoire est intéressante, et puis ça permet aussi de découvrir un peu la personnalité de Solomon Mikhoels, malheureusement très peu connu en Europe! D'ailleurs, Bac Films a ressorti en DVD quelques films avec sa participation (dans la collection "Les chefs-d'oeuvre du cinéma russe"), ce sont des films des années 1920-1930 et je trouve ça génial!