Petit tour cet après-midi à la Fondation Dubuffet pour une visite de l'exposition consacrée aux voyages de Dubuffet en Algérie (entre 1947 et 1948, au tout début de son œuvre). Faisant partie d'un happy few (comment je me la pète!), j'ai eu droit à une visite guidée faite par Sophie Webel, la directrice de la fondation et commissaire de l'exposition, suivie d'un apéro-champagne dans cet endroit de rêve (la fondation se cache dans un superbe immeuble au fond d'un jardin que l'on ne soupçonnerait jamais venant de l'extérieur - à découvrir absolument).
Un mot sur la Fondation Dubuffet: il s'agit d'une des très rares fondations qui marchent bien en France. Elle bénéficie, grâce à ses diverses activités (expositions, réactualisaiton et édition du catalogue raisonnée, fabrication des sculptures d'après les maquettes de Dubuffet), de près de 700 000 euros budget annuel (avec tout juste 30 000 euros de subventions régionales). Chapeau! Les expositions sont donc assez bien faites (il y en a une à peu près tous les 18 mois), avec de nombreuses œuvres prêtées par des collectionneurs et des galeries en plus de la collection déjà impressionnante de la fondation elle-même (plus de 10% de l'œuvre de Dubuffet, cette dernière comptant près de 10000 pièces).
L'exposition actuelle est consacrée au seul grand voyage (si on ne compte pas le séjour new-yorkais de l'artiste) effectué par Dubuffet en quête d'inspiration... et de chaleur: ne trouvant plus de quoi se chauffer à Paris, en février 1947, Dubuffet et sa femme Lili décident de partir pour Alger. Mais à Alger, il fait froid aussi... il est donc décidé de partir plus au sud, dans le désert. S'en suivront deux autres voyages, de 6 mois et de 2 mois. Dubuffet le prend très au sérieux: avec Lili, il prend des cours d'arabe et ambitionne de pouvoir "peindre en arabe". Il ne parviendra pas à se fondre dans cette culture qui lui est étrangère, mais y trouvera son propre mode d'expression, et une énergie nouvelle (voyez un peu par quoi on peut remplacer le charbon! je m'en inspirerai quand il n'y aura plus de pétrole...)
L'exposition relate ces trois voyages à travers des peintures (gouache, aquarelle), des dessins faits avec des crayons de couleur prêtés par l'instituteur du village, des croquis de voyage, et des lettres. J'avoue de suite que je ne suis pas une grande fan ni connaisseuse de Dubuffet, cependant ces œuvres précoces diffèrent beaucoup de la manière qui a fait connaître Dubuffet, tout en la laissant pressentir. Parmi les procédés qu'utilise l'artiste, un m'a vraiment marquée: celui de la "matière enlevée". Une feuille est peinte entièrement (généralement, il s'agit de l'aquarelle), après quoi la matière, la couleur sont enlevées, et c'est cette action qui fait apparaître le dessin, de manière à ce que chaque trait est en réalité non dessiné, mais révélé. Du point de vue conceptuel, c'est extraordinaire pour quelqu'un qui, justement, découvre un pays, une langue, un paysage, et pour qui ces divers éléments (les étendues de sable, le ciel haut, les chameaux, les touaregs, les scorpions, les palmeraies, les traces de pas) apparaissent peu à peu comme constitutifs de l'univers ambiant.
Plusieurs lettres envoyées par Dubuffet à ses amis sont également présentées. Dieu merci, Dubuffet tapait à la machine, on n'a donc aucun mal à déchiffrer ses phrases longues, nerveuses mais parfaitement maîtrisées et à la chute souvent savoureuse. Doté d'un sens de l'humour un peu neurasthénique (comme il le dit lui-même) mais percutant, Dubuffet décrit ses impressions, et les analyse de façon instantanée; l'effet produit est redoutable. "La galerie (...) marche bien. C'est un fait intéressant de signaler qu'une chose marche bien. A El Goléa c'était différent et on rencontrait très couramment des gens, peu ou sommairement habillés il est vrai, mais dont la mine donnait à penser que leurs affaires marchaient à leur satisfaction, à moins qu'ils aient placé leur satisfaction ailleurs que dans la bonne marche de leurs affaires, ou bien qu'ils aient décidé de passer outre aux questions de satisfaction." (13 mai 1948). Il parvient parfois à capter des détails qui définissent pour lui l'Algérie et, plus généralement, cet autre monde qu'un homme occidental appréhende difficilement. Cela m'arrive très rarement de lire les lettres qu'on trouve souvent dans des expositions, mais celles de Dubuffet valent presque ses peintures!
Faut-il voir cette exposition? Malgré mon ignorance presque totale, j'ai trouvé cette exposition extrêmement intéressante, tant pour les œuvres qu'elle fait découvrir que pour le personnage qu'elle révèle. Je ne la recommanderai pas à ceux qui ont tendance à dire "mon petit neveu dessine mieux" devant l'art brut - c'est probablement vrai dans la forme (bien que, comme beaucoup de peintres du XXe siècle, Dubuffet a fait des dessins tout à fait académiques dans sa jeunesse), mais il faut pouvoir passer outre pour apprécier le concept qui est derrière. Attention, l'exposition se termine le 30 avril, vous n'avez plus que lundi, mardi et mercredi pour venir la voir!
En pratique:
Fondation Dubuffet
137 rue de Sèvres, Paris 6°
Métro Duroc
Tél. 33 (0) 1 47 34 12 63
du lundi au vendredi de 14h à 18h.
samedi 26 avril 2008
Carnets de voyage: Jean Dubuffet au Sahara
Carnets de voyage: Jean Dubuffet au Sahara
2008-04-26T19:59:00+02:00
Une Russe à Paris
Expos|
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