En deux mots: "Je ne sais rien de mes origines. Je suis né à Paris de mère inconnue et mon père photographiait les héroïnes. Peu avant sa mort, il me confia que je devais mon existence à un baiser de cinéma". Eric Fottorino, le nouveau directeur du journal Le Monde, publie un roman ensorcelant sur les mystères du passé, de l'amour, des souvenirs et de l'oubli dans un Paris de cinéma.
Gilles Hector, brillant avocat, est fils d'un chef lumière de génie qui, toujours, "s'arrangeait pour traverser l'existence sans témoin, comme si sa vi avait été un crime parfait". Depuis la mort de son père, il mène une enquête policière et à la fois personnelle, intime: résoudre ce crime parfait et retrouver l'inconnue - sa mère dont son père ne parla jamais. Alors, Gilles essaye de "vivre les événements à rebours de ce qu'ils sont dans la vie, comme les roues des voitures, au cinéma, qui donnent l'impression de tourner à l'envers".
Il souffre d'une incapacité de retenir les femmes - sa mère, d'abord, puis Solange, sa femme qui l'a quitté pour "un Africain fertile et large d'épaules", puis Mayliss, un amour troublant, impossible, presque violent dans les tourments qu'il cause, hypnotisant... Elle était "un sortilège, une femme une amante, une soeur, une mère aussi, une dévoreuse de temps qui avançait dans la lumière posthume" inventée par son père. Un amour né aux "3 Luxembourgs", petite salle de cinéma du 5e où Gilles tâche de retrouver sa mère parmi les vieilles héroïnes du noir et blanc (il écarte alors, avec regret, Françoise Dorléac, Anouk Aimée, ou encore Audrey Hepburn...).
Il ignore tout de la vie de femme mariée de Mayliss, mais connaît par coeur, tel un aveugle, chaque courbe, chaque pli de son corps lorsqu'elle venait le retrouver île Saint-Louis.
Une belle histoire, une écriture ensorcelante, et une quête acharnée dans ce Paris d'autrefois: entre les vieux cinémas du 5e et un café île Saint-Louis, des heures de promenades, de marche, d'attente sous la pluie, de retards, d'excuses, de voyages impromptus - à Rome, à Nice... Dans ce petit carré, on redécouvre toute une vie - des vies, en déroulant peu à peu le fil d'Ariane dont le bout semble disparaître dans le néant. Le roman semble avoir quelques échos avec "Dans le café de la jeunesse perdue" de Patrick Modiano, dont il est cependant très différent.
Faut-il le lire? Baisers de cinéma est probablement le meilleur livre que j'ai lu depuis la rentrée. Il décrit Paris comme je l'aime, une ville où l'on marche pour réfléchir, où l'on vit en marchant, en promenant les yeux sur les vestiges d'un passé glorieux. C'est aussi une des histoires d'amour les plus sensibles, les plus folles, les plus captivantes, les plus inattendues et et le mieux écrites de la littérature contemporaine.
Eric Fottorino
Gallimard, Collection blanche
189 pages, 14,50 euros.