Vous savez certainement qu'en France, les immigrés, on les adore. Alors, quand ils viennent, on les chouchoute, on les éduque, on les intègre, et puis on les lâche dans la nature.
J'explique rapidement de quoi je parle. Les nouveaux arrivants en France (ceux qui viennent travailler ou rejoignent simplement leur famille) signent désormais un "Contrat d'accueil et d'intégration". En gros, c'est un contrat qui les oblige à apprendre le français, reconnaître les valeurs de la République et accepter que s'ils ne signent pas le contrat, ils ne verront pas la couleur de la carte de séjour l'année suivante (c'est tout à fait facultatif, vous avez compris). Ils doivent par ailleurs suivre une "formation civique" qui est censée les initier aux principes du fonctionnement de l'État français et les sensibiliser aux valeurs de la République. Au fond, l'idée est plutôt bonne. Mais, bien évidemment, tout n'est pas parfait: ainsi, les gens ayant fait toutes leurs études supérieures en France doivent aussi signer le fameux contrat et assister à ladite "formation civique". Je suis donc, moi aussi, tombée dans le filet du "contrat". Ayant récemment changé de statut (la formule obscure de la préfecture indiquant qu'un diplômé a enfin trouvé un travail et que maintenant sur sa carte de séjour il est marqué "employé" et non plus "étudiant"), j'ai pu tester l'intégration à la française! Reportage du champ de bataille.
8h55: j'arrive au lieu indiqué sur la convocation pour y retrouver une petite foule de gens attendant la formation, tous contents de passer leur samedi à étudier. Personne n'a rien d'autre à faire le samedi, vous imaginez bien.
9h10: on nous emmène dans une salle au sous-sol: quelques posters sur les murs, des copies de statues antiques dont un pied géant (il paraît qu'il y a ici un atelier de peinture), une caricature du Libé scotchée sur un poteau, et un stock d'ordinateurs des années '90.
9h30: au final, c'était pas la peine de se réveiller aussi tôt, on n'a même pas commencé. Je regarde un peu autour de moi. Les gens ont l'air plutôt sympathiques.
En attendant, on nous prive de projecteur; les explications, ce sera sans "support visuel". Pas grave, un jeune homme barbu en pull rouge dessine un hexagone sur le tableau.
9h35 : le jeune homme barbu en pull rouge, ce sera notre prof pour la journée. Il s'étire un peu, et nous demande de nous présenter. C'est le cirque. Abdel donne le ton: "Bonjour, je m'appelle Abdel, je suis algérien, je suis responsable informatique, en France depuis 5 ans, et ça me soûle d'être là". Ça promet. On est une vingtaine; le tour est à la fille rousse assise devant moi. Elle est américaine, styliste pour une marque de luxe, en France depuis 5 ans. "Une marque connue? - demande notre prof. "Yves Saint-Laurent", lui répond la fille en toute modestie. Ca devient intéressant. On fait la connaissance d'Assane, un malien qui fait "des sushis avec des japonais", Fouad, consultant pour un grand groupe "très connu", Mouna, en dernière année de doctorat et enseignante à la Sorbonne à qui l'on a quand même fait passer un test de français, YaLun, une consultante en finances, Maria, une californienne chef de produit marketing, Kate, une fille de Montréal, Tamiko, une japonaise "mère de deux enfants"... Le sentiment général: "on serait mieux ailleurs, mais on est poli et puis on a vraiment besoin de la foutue attestation". Seul Liao Ling dit être "content d'être là". Mais ça compte pas, il est chinois, il n'a peut-être pas encore compris qu'en France, on peut dire ce qu'on pense. Au final, cette initiation aux valeurs républicaines, c'est peut-être pas si mal que ça.
10h00: Notre prof s'enquiert à quand remonte l'histoire de la France selon nous. On lui suggère, au choix, la Révolution Française et Astérix. Il penche pour Astérix. C'est parti pour 2300 ans d'histoire de France en 1h20 chrono. Un grand esprit de synthèse. Les questions sur les colonies fusent. Notre prof tient bon. Nous aussi.
11h20: je profite de la pause café pour avoir les derniers ragots de chez YSL devant une tasse de Lipton tiède mais gratuit. Dans les toilettes, un papier collé sur le mur précise qu'il ne faut pas faire pipi par terre. La pause est terminée.
11h40: "On ne peut pas parler de la France sans parler de l'Union Européenne", dit le prof. On sent que ça vient du cœur. Mais sur l'Union Européenne, il n'est pas encore très calé. Je l'aide comme je peux, après quelques années à Sciences Po et un passage à la Commission Européenne, il me reste encore des bribes de connaissances. Notre prof situe la CJCE (Cour de Justice des Communautés Européennes) à Amsterdam. Je décide de ne pas le vexer devant tout le groupe. Moi aussi, je ne suis pas parfaite... oublier le slogan de l'UE, la honte! ("Unie dans la diversité", pour les curieux et les amnésiques). De bon coeur, je l'aide aussi sur le processus de décision dans l'Union Européenne. Ça me rappelle l'école, je suis nostalgique (c'est mon passé de fayot qui pointe le nez).
12h16: on attaque les symboles de la République. J'ai un déjeuner fixé à 12h30 (je zappe le déjeuner offert par la Préfecture), alors j'essaye de répondre à toutes les questions pour que ça aille vite. C'est raté, on ne nous laissera sortir qu'à 13h malgré le planning écrit sur le tableau. "La ponctualité c'est la politesse des rois", mais ça doit être démodé pour la Ve République.
14h15: on enchaîne sur les principes. La laïcité est clairement le sujet clé. On apprend aussi, à l'aide d'un questionnaire "vrai/faux" qu'on ne peut pas battre sa femme. Habib remarque que l'inverse est vrai aussi. Le prof, content, acquiesce.
15h27: seconde pause café. Le prof me demande: "Ça va, les sciences politiques, je n'ai pas dit trop de bêtises?" Non non, je le rassure. Je me tairai à jamais sur la CJCE.
15h47: le prof pense encore nous apprendre quelque chose. "Savez-vous combien de députés il y a à l'Assemblée Nationale?" Fouad, d'un air fatigué: "627". On est impressionnés. On est bons! Les questions sur Sarkozy sont légion. Le prof finit par admettre: "Il y a beaucoup de choses qui existent et qui marchent pas". C'est une grande leçon d'humilité. Tout le monde est content.
Le sujet des élections provoque des rires amers: "Chez nous, ils sont toujours là, c'est la dictature!" Je me rends compte que je peux dire la même chose de chez moi. On se dit tous: chez nous, on peut voter, mais ça ne sert à rien, et en France, on ne peut pas voter, mais au moins, si on pouvait, ça servirait à quelque chose. C'est quand même bien qu'on soit là.
16h45: on reçoit enfin le certificat d'assiduité. C'est précieux, car on devra se coltiner une autre journée de formation civique si on le perd.
16h46: mon certificat sous le bras et mon indice de civisme en hausse, je peux enfin partir pour le Salon du Livre. Victoire!
Au final, je me dis que c'était pas si mal que ça, une petite perte de temps, mais plus utile que quand on regarde des séries à la télé, ça rappelle l'école, ça donne envie de reprendre des cours d'histoire (mais comment on a pu oublier les frasques de Pépin le Bref!)... Je me sens un peu triste pour tous les gens qui ont l'impression qu'on les prend pour des cons (quand même, cela fait des années qu'ils sont en France). Je me dis aussi que, en semaine, le public de la formation civique doit être différent - de vrais nouveaux arrivants, à qui tout ça doit être bien plus utile qu'à nous. Espérons-le!
Questions pour le public: mesurez votre indice de connaissance de la civilisation française!
Question joker: quels sont les secteurs qui embauchent le plus d'immigrés et/ou de minorités visibles?
(Tous les noms ont été changés)
lundi 17 mars 2008
J'ai testé: la formation civique pour les immigrés
J'ai testé: la formation civique pour les immigrés
2008-03-17T23:16:00+01:00
Une Russe à Paris
Cris du coeur|
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