La fin de ma Russie de Catherine Sayn-Wittgenstein | Une Russe à Paris
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dimanche 13 janvier 2008

La fin de ma Russie de Catherine Sayn-Wittgenstein

La Fin de ma Russie (journal 1914-1919) de Catherine Sayn-Wittgenstein, Phébus, octobre 2007. 394 pages.

Journal d'une princesse russe de 23 ans, "La fin de ma Russie" relate les événements des années 1914-1919. Ce journal a ainsi traversé la 1ère Guerre Mondiale, la Révolution de 1917, la guerre civile, puis a suivi le destin de la famille Sayn-Wittgenstein en Roumanie, puis en Silézie autrichienne. Retrouvé par la princesse lors de l'appel qu'Alexandre Soljenitsyne lança en 1975 aux émigrés russes de la première génération pour qu'ils lui transmettent leurs souvenirs, ce document est un témoignage précieux et passionnant sur les événements qui ont changé à jamais le visage de la Russie.

Qui sont les Sayn-Wittgenstein? Il s'agit d'une famille aristocratique d'origine allemande qui avaient vécu en Russie depuis 1762. Même si le nom ne vous dit rien (et moi non plus, avant d'avoir découvert ce livre), plusieurs Sayn-Wittgenstein ont marqué les pages de l'histoire: le prince Pierre de S-W (l'arrière grand-père de l'auteur), par exemple, était un maréchal victorieux pendant les guerres napoléoniennes.

Que faisaient-ils pendant la Révolution? Pendant la Première Guerre Mondiale, Katya et sa soeur Tatiana ont travaillé comme infirmières dans un hôpital à Moscou; puis la famille a déménagé à Bronitsa, leur propriété en Ukraine, jugée plus sûre pendant la Révolution d'octobre. Après que Bronitsa ait été détruite par les paysans, ils vécurent dans la petite ville de Moguilev, avant de traverser le Dniestr vers la Roumanie pour quitter la Russie en 1919.

Qu'y a-t-il d'intéressant dans ce livre? C'est une oeuvre assez particulière, car il ne s'agit pas de mémoires, mais bien d'un journal qui relate au jour le jour les événements que nous connaissons (ou ignorons) depuis les manuels scolaires. On les vit alors dans l'immédiat les événements à travers les yeux de Katya, on sent l'univers de cette famille s'écrouler... Les Sayn-Wittgenstein cultivent leur propre jardins, traient des vaches, ils travaillent dur pour pouvoir survivre pendant la guerre. L'expérience est toute autre que lorsque vous lisez un essai ou écoutez un professeur!

Ce que j'ai trouvé intéressant, c'est aussi des choses auxquelles on ne pense jamais lorsqu'on étudie l'histoire. On ne se rend plus compte du manque d'information de l'époque!
"Aujourd'hui, on lit dans le journal que Kornilov est mort. Il me semble que cela ne peut pas être vrai. Maintenant la première réaction à tout ce qu'on lit est de ne pas y croire". C'est assez incroyable, j'ai vraiment été frappée par ce vacuum informationnel dans lequel tout le monde se trouvait, où les seules informations que l'on pouvait obtenir étaient des rumeurs! "Ici, on a lancé des rumeurs selon lesquelles le grand-duc Mikhaïl Alexandrovitch aurait abdiqué; de plus, la Pologne aurait déclaré la guerre à l'Ukraine (...). Quelle situation folle qu'il n'y ait ni journaux, ni courrier, ni télégrammes, ni relations ferroviaires! On ne peut quand même pas croire toutes les idioties qu'on entend à Moguilev!" Les guerres se font maintenant différemment... Penser que, jusqu'à la 2de Guerre Mondiale, lors d'une guerre, on ne savait pas pendant des jours qui avait gagné une bataille, c'est inconcevable aujourd'hui!

Katya Sayn-Wittgenstein n'est pas dénuée de sens de l'humour qui se révèle au fil des pages; mais elle réfléchit aussi de plus en plus, au sens de l'histoire, à la haine que leur voue le peuple, à cette punition terrible qu'ils (la classe des propriétaires terriens) ont probablement méritée... A 23 ans, elle n'a pas vraiment reçu une vraie éducation, elle rêve de faire des études, de devenir médecin... un destin qui ne se réalisera pas, même si elle vivra longtemps et survivra à tous les membres de sa famille. Elle-même et les gens qui apparaissent sur les pages de ce journal sont autant de reflets de destins brisés par un des plus grands krachs de l'histoire. "Je pense que nous nous efforçons de faire quelque chose, d'établir des plans pour l'avenir, mais en fait tout cela est inutile: un avenir est inimaginable."

Il y a aussi beaucoup d'histoires, d'anecdotes, d'événements cocasses et tristes à la fois, le danger semble passionnant. "Pour la deuxième fois,nous fûmes sauvés comme par miracle. Et nous avons dormi cette nuit-là: Nous ne savions pas qu'à trois heures du matin une horde de soldats pénétra par effraction dans la malheureuse administration communale et exigea immédiatement deux millions de roubles. A cinq heures, les bolcheviks firent sauter le pont et s'enfuirent. (...) Au même moment, le baron Bode et le capitain Tchernik entendaient les voitures qui passaient devant chez nous et s'attendaient toute la nuit à une attaque contre nous. "A chaque voiture nous avons pensé: ça y est, ils viennent arrêter le prince. Nous nous sommes préparés à les attaquer par-derrière", raconta le baron en buvant tranquillement une tasse de thé chez nous. Nous avons dormi cette nuit-là et ne nous sommes imaginé que très vaguement le danger dans lequel nous étions. Et pendant ce temps, il y avait de braves gens, que nous ne connaissions même pas encore personnellement, qui étaient prêts à nous sauver des bandits."

J'ai du mal à juger le texte (il s'agit d'une double traduction: du russe en allemand, et de l'allemand en français), je pense qu'il reste peu du style original, mais l'ensemble est bien écrit et se lit très facilement... Un livre à lire si vous aimez l'histoire! Sur le même sujet, un autre angle d'approche, ce sont - comme je l'ai déjà mentionné - les mémoires; pour moi, aucun auteur n'a pu égaler l'autobiographie de Nabokov, où il raconte "sa" Russie à lui, disparue elle aussi à jamais... (ce n'est pas le sujet de ce post, mais je ne puis m'empêcher de mentionner ce livre, probablement le plus touchant et le plus juste que j'aie jamais lu).