Le Dieu du Carnage de Yasmina Reza au Théâtre Antoine | Une Russe à Paris
Une Russe à Paris

dimanche 27 janvier 2008

Le Dieu du Carnage de Yasmina Reza au Théâtre Antoine

Une soirée exceptionnelle et un vrai coup de coeur avec la nouvelle pièce de Yasmina Reza, Le Dieu du Carnage (au théâtre Antoine depuis vendredi dernier). Un huis clos réussi, des dialogues tranchants, des acteurs parfaits chacun dans son rôle, et une mise en scène vivante - que faut-il dire de plus pour vous encourager à aller voir ce spectacle?

L'histoire: Très simple. Véronique et Michel Houillé (Isabelle Huppert et André Marcon) ont invité chez eux Annette et Alain Reille (Valérie Bonneton et Eric Elmosnino) pour rédiger un constat pour leur assurance familiale: le fils des Reille a frappé au visage le fils des Houillé avec un bâton au square de l'Aspirant-Dunant. Il fallait bien le talent de Yasmina Reza pour pouvoir transformer ce fait divers en une pièce brillante sur la nature humaine... En y repensant, rien ne se passe, ou presque: on ne voit pas les deux fils, le constat n'est jamais signé, tout ne tient que par la force des dialogues et le brio avec lequel les comédiens les servent, entre un café et un verre de rhum!

Au fond, derrière les faits de la vie quotidienne (le père qui se débarrasse du hamster de sa fille, le travail qui fait irruption dans la vie privée, notre attachement parfois stupide à des choses qui n'en valent pas la peine), Yasmina Reza nous révèle l'oeuvre du dieu du carnage: celui qui maîtrise nos instincts les plus viles. La violence qui sommeille en nous est toujours prête à faire irruption, et il n'en faut pas beaucoup pour la réveiller! Ainsi, chacun perd peu à peu le contrôle, le sens des limites sociales, s'excite, s'énerve - on a l'impression de voir enfin son vrai visage, mais - changement de plan - on se retrouve projeté encore plus loin, dans une autre direction... Ce ping pong dramatique que Yasmina Reza maîtrise comme personne est jubilatoire. On retrouve dans Le Dieu du Carnage le même humour acerbe qui a fait le succès de Art (spectacle qui m'a fait aimer le théâtre, voilà plus de dix ans...), et la même capacité d'exploiter une situation à fond, jusqu'à ce qu'elle ne soit
totalement déconstruite pour nous révéler ce qu'il peut y avoir réellement derrière un tableau blanc ou un constat d'assurance.

Les acteurs sont tous dignes d'éloges, j'ai peut-être moins aimé Valérie Bonneton (qui a une voix à peine désagréable) et Yves Marcon (il tend un peu trop vers le théâtre de boulevard, ce qui n'est pas mauvais en soi, mais ce qui surprend dans une pièce de Reza). En revanche, j'ai trouvé Isabelle Huppert excellente, elle a une vraie présence sur scène (j'ai l'impression, beaucoup plus qu'au cinéma), et elle a l'art de cet humour pince-sans-rire que j'adore chez Reza. J'ai été également séduite par le jeu d'Eric Elmosnino: sans jamais forcer le trait, il atteint parfois de tels degrés d'absurde avec des mots tellement banals et quotidiens qu'on est plié en quatre.

Faut-il voir cette pièce?: mille fois oui! Je ne puis penser à une raison qui puisse vous empêcher d'aller voir cette pièce (même pas financière, parce que franchement, même d'une place à 17 euros, on voit très bien!) Et surtout, si vous aimez les pièces de Yasmina Reza, ou l'humour d'Isabelle Huppert, courez-y!

Le Dieu du Carnage
Théâtre Antoine
Durée: 1h30
Prix: 17€ - 49€

A lire également: la critique de Fabienne Pascaud dans Télérama