jeudi 27 novembre 2008

(Musique) Grigory Sokolov interprète Mozart et Beethoven

Elle s'élance, saute et... s'immobilise en équilibre au-dessus du vide. Le fil qui la maintient est si fin... mais elle avance, en respectant la trajectoire sinueuse dont elle seule connaît la destination - et on a très peur qu'elle ne s'interrompe, engloutie par le ciel étoilé, et que l'on reste à jamais orphelin à l'envers - sachant d'où l'on vient, mais ignorant où l'on va. On se tient droit sur sa chaise en essayant de ne pas trop bouger, on serre les mains très fort, comme si, en le faisant, on allait la maintenir sur son fil - et on prie pour que la toux, cette traître, ne vienne pas gratter notre gorge. Un spectacle de saltimbanque? Non. Une sonate de Mozart sous les doigts de Grigory Sokolov, hier soir au Théâtre des Champs-Elysées.

Je vous avais déjà parlé de Sokolov l'année dernière - et je continuerai sûrement, tous les ans, en novembre, de chanter mon admiration pour ce pianiste hors du commun. Longtemps resté loin des feux de la rampe (au sens propre - il salue toujours en restant derrière son piano, en toute modestie, - et au sens figuré, car les médias lui préfèrent souvent des pianistes plus jeunes, plus beaux... plus outrageusement voyants), Grigory Sokolov est aujourd'hui l'un des plus grands pianistes du monde. Au-delà de sa technique époustouflante, ce sont surtout ses interprétations toujours très subjectives des œuvres classiques qui lui valent cette réputation. Derrière chaque thème, chaque mesure, chaque note, chaque instant même - il y a une pensée. "Que suis-je en train de dire? Est-ce que ce que je dis est ce que j'entendais dire?"

Deux métaphores pour les non-mélomanes: imaginez, tout d'abord, un très grand danseur (ce qui fait souvent un très grand danseur - ou chanteur, for that matter, c'est non seulement le talent, mais aussi l'intelligence et la capacité à théoriser): Baryshnikov - ou, parmi nos contemporains, Kader Belarbi. Imaginez-le maintenant à presque soixante ans - avec un bagage de réflexions sur la danse et une vraie vision de l'art. Mais... "si la jeunesse savait, si la vieillesse pouvait" - les contraintes d'un corps devenu trop vieux ne lui permettront pas de réaliser ce qu'il veut dire. Dans la musique classique cette barrière est levée (on n'est jamais trop vieux pour agiter la baguette de chef d'orchestre) - avec l'âge, Grigory Sokolov n'a rien perdu de sa technique, tandis que ses interprétations ont gagné en profondeur et sont devenues, pour certaines d'entre elles, de vraies improvisations.

Une deuxième métaphore pour vous permettre de comprendre la différence entre une musicien qui joue une oeuvre, et un interprète comme Sokolov. Imaginez-vous que le pianiste est un metteur en scène, et que la sonate qu'il joue est une pièce ou un film. Imaginez maintenant que ce metteur en scène décide de s'attaquer à un remake de Titanic. Il décide que Rose sera une brune aux yeux noirs, que le paquebot n'ira plus aux Etats-Unis, mais en Amérique latine, que l'histoire n'aura pas lieu au début du XXe siècle, mais, par exemple, à l'époque de Christophe Colomb. Et maintenant, le texte. Il décidera que, au lieu de crier "Jack! Jack!" de façon hystérique, Rose le dire d'une voix cassée, sourde, plus basse que d'habitude, le soufflé coupé... La même chose pour un réalisateur qui décide de faire un film d'après un événement réel - il décidera de quoi auront l'air les personnages. C'est exactement ce que fait un vrai interprète avec une oeuvre musicale. Chaque phrase a un sens, et les sons ne sont que des mots - c'est à lui de décider ce qu'ils voudront dire vraiment. Les interprétations de Sokolov sont à la musique ce que les films d'Antonioni furent à la réalité - une révélation.

Au programme, deux sonates de Mozart (la sonate n° 2 en fa majeur K. 280 et la sonate n° 12 en fa majeur K. 332), et deux sonates de Beethoven (la sonate n° 2 en la majeur op. 2 n° 2, et la sonate n° 13 en mi bémol majeur op. 27 n° 1 "Quasi una fantasia"). C'est la première fois que j'entends Sokolov jouer Mozart. Je crois que je vais devoir jeter mon coffret de 99CD de Mozart (ou, en tout cas, tous les volumes piano) - car toutes les interprétations me paraitront maintenant plates et pâles... En écoutant Sokolov jouer Mozart, on a l'impression de lire un livre, on devine presque l'histoire, on rit, on s'étonne de certains choix (ça, on ne peut le faire que si l'on connaît l'oeuvre d'avance - pour ma part, j'avais joué la sonate n° 12, et c'est étonnant de voir Sokolov remplacer les marcati par des staccati, de se poser sur certaines notes un dixième de seconde de plus - et ça change tout!).

Les sonates de Beethoven, curieusement, font naître dans l'esprit des tableaux de cinéma - dont la scène sous la pluie de Match Point (pour une raison inconnue, le Match Point façon Sokolov se situe pour moi sur un terrain de golf, pas de tennis - les passages de Beethoven dans la sonate n° 2 ressemblent beaucoup plus au roulement d'une balle de golf qu'aux rebondissements d'une balle de tennis). Peu à peu, on associe chaque thème à un personnage, on imagine les dialogues... Pensez-vous que je suis en train de devenir folle? C'est que vous n'avez jamais entendu jouer Sokolov.

A la fin - une ovation (mais lui arrive-t-il de recevoir un accueil différent?), et six bis - cinq Chopin (il sait, malin, que le public n'attend que ça - personne ne joue Chopin comme lui!) - dont le Prélude en E-minor, Suffocation, Op. 28 No 4, le Prélude No 9 en E-dur Largo, et le Prélude en D-minor, Storm, Op. 28 No 24; ainsi qu'un prélude de Scriabine (m'indique une bonne âme dans les commentaires - merci!). Ah, le jeu éternel des mélomanes - deviner les morceaux bissés!

Dans mon élan, je n'ai pas pu m'empêcher d'acheter le coffret Bach, Beethoven, Chopin, Brahms... tant j'avais envie de prolonger la magie du concert, bien que je sache que rien ne peut l'égaler! L'attente jusqu'à l'année prochaine sera longue... Sokolov ne vient à Paris qu'une fois par an! La prochaine fois, promis, je vous avertirai de son passage.

Lire la suite...

dimanche 23 novembre 2008

(Ciné) Musée haut, musée bas. Décalez-vous!

Une comédie en "vignettes" sur le monde du musée, ça a l'air un peu lourd... et ça peut l'être, sauf si vous avez un bon sens du deuxième degré et un amour incosidéré pour l'environnement muséal - ce qui, apparemment, est mon cas. Comme toutes les comédies qui ont une bonne critique dans le Télérama, "Musée haut, musée bas" est à prendre avec des pincettes: fera rire, ne fera pas? Au final, une comédie absurde (parfois un brin lourde) à l'humour mordant, dont l'esthétisme de la mise en scène réjouira les amateurs d'art.

"Musee haut, musee bas" était à l'origine une pièce de Jean-Michel Ribes qui s'attelle ici à la réalisation. N'ayant pas vu la pièce, je ne peux donc pas faire de comparaison du style "Naaaan, la pièce était vachement meilleure". Mais prenons le film.

L'histoire: autant le dire tout de suite, il n'en y a pas vraiment. Il n'y en a pas, comme dans les films français aux mille personnages, ou comme... dans les films américains d'action/d'aventure (ceux où l'histoire existe en tant qu'accessoire aux batailles de mer). Je m'explique.

Dès les premiers plans du générique, je me suis dit: "On s'est trompé de salle": le premier logo à apparaître fut celui de la Warner. Et pourtant si, la salle était la bonne, et c'est bien la Warner qui a produit "Musée haut, musée bas". Mais qu'est-ce que la Warner vient faire dans un film français, sur le musée qui plus est? C'est là que commence l'histoire: en fait, le musée (un lieu rêvé, un mélange du Grand Palais, du Louvre et du Centre Pompidou - des « morceaux » ont été en fait tournés au Petit Palais, au Louvre, à Guimet, aux musées de l’Architecture et des Beaux Arts) est envahi par les plantes vertes et la nature en général. Cela donne lieu à de nombreux effets spéciaux et des cris hystérico-héroïques "Sauvons le musée!" - les deuxièmes ne se concentrant heureusement que dans les dix dernières minutes du film. A dire vrai, on s'en fout un petit peu - sauf lorsque cette histoire un brin bancale (ça sent un peu le Nicolas Hulot à l'envers) donne lieu à de jolis retournements et jeux de mots d'oeuvres.
--bande-annonce--


--
120 rôles, tous joués par de grands acteurs - souvent écrits pour et avec eux - c'est du sur-mesure à la française! Tous avaient adoré la pièce, et ont adhéré au projet du film en laissant leur égo au vestiaire. Par les temps individualistes qui courent, cela fait plaisir. Le film s'éparpille en des dizaines de morceaux caleïdoscopiques à l'esthétique qui n'est pas sans rappeler Quadrille, le premier film de Valérie Lemercier. Les costumes des personnages sont aussi réjouissants que les oeuvres exposées (avec une expo photo au-delà du réel, inauguré par André Dussolier en ministre de la Culture qui a gardé la veste de Christine Albanel). Les dialogues le sont parfois moins. Comme dans tout film à vignettes, il y en a de bonnes et de moins bonnes. La bonne nouvelle, c'est qu'on n'aime pas toujours les mêmes! Mes préférées: la guide; le choeur "grec" des gardiens des salles, dirigé par Fabrice Luchini; l'artiste et son oeuvre autour de sa mère (même si, au début, on est lassé - la culmination de l'histoire vaut le coup); le public du vernissage de l'expo-photo; les ouvriers transportant Pietà; le tour privé du musée pour les Madones; Muriel Robin et Kandinsky; l'exposition Karl Paulin... Parmi celles qui m'ont vraiment lassées, l'histoire des deux familles Province (celle avec Jugnot, et celle avec la parking Rembrandt). Mais même dans les histoires qui lassent il y a parfois des perles, comme cette vision de deux "infantes" naines aux robes froufroutantes qui passent dans le parking Velasquez.

Au final, une excellente réflexion sur le musée, les types, les archétypes, les personnages, mais aussi (et surtout!) les oeuvres et leur choix. Contre-indiqué aux gens allergiques à l'absurde. Conseillé aux spectateurs ayant fait Histoire de l'art/Muséologie/Médiation culturelle ainsi qu'à tous ceux que leurs parents ont traîné dans les musées dès l'âge de deux ans.
Attention, il y a énormément de gens déçus... Si vous n'êtes pas sûrs, attendez le DVD, ou regardez les extraits sur Allociné (une bonne partie des meilleurs y est!)

Lire la suite...

mercredi 19 novembre 2008

(Cine) Alexei Guerman aux Rencontres de Saint-Denis

Après "Regards de Russie", c'est au tour des Rencontres cinématographiques de Saint-Denis d'accueillir le cinéma russe: Aléxeï Guerman, un des plus grands réalisateurs russes contemporains, sera là pour deux rencontres avec le public et une rétrospective de trois films. Très remarqué à Cannes avec son "Khroustaliov, ma voiture!" sur la Russie à l'heure de la mort de Staline, Guerman est un réalisateur très particulier - à découvrir absolument! Son oeuvre, toute en noir et blanc, se centre essentiellement sur la Russie entre les années 1930 et 1950.

Guerman doit être le cauchemar de tout producteur de cinéma - méticuleux, il met des années à tourner et à terminer un film (huit ans pour Khroustaliov). De 1772 à 1999, il n'en a fait que quatre. Son prochain, Il est difficile d'être Dieu, est "presque" prêt - les quelques journalistes russes qui l'ont vu en Russie crient au chef-d'oeuvre... quant au public, il devra patienter! Aucune date de sortie n'est officiellement annoncée; quelques extraits seront montrés au festival de Saint-Denis en exclusivité.

Notez également le passage du dessin animé de Youri Norstein, "Le hérisson dans le brouillard" - élu en 2003 meilleur film d'animation de tous les temps à Tokyo. (vous pouvez aussi le voir ici; tant que vous y êtes, regardez aussi son Conte des Contes, un chef-d'oeuvre).

En pratique:

Vendredi 21/11 (Le Méliès/Montreuil):
20h30 Khroustaliov, ma voiture!
Samedi 22/11 (L'Ecran/Saint-Denis):
18h La Vérification
20h45 20 jours sans guerre
Site web: www.cinemas93.org
Programme: ici
Filmographie de Guerman: ici

Lire la suite...

lundi 17 novembre 2008

Du temps, des livres, de l'air

"Les livres nous obligent de perdre notre temps d'une manière intelligente".
Mircea Eliade


Ces derniers jours, une vague sensation de repli (ça doit être la crise ?) Je fais une overdose d’actualité. Je lis des livres qui ne datent pas de la dernière rentrée littéraire (en l'occurence, 84, Charing Cross road - une merveille dont je vous parle sous peu), vois des films qui ne datent pas d’hier (Riens du tout et Ni pour, ni contre, mais bien au contraire de Cédric Klapisch), dîne non pas dans un restaurant "qui vient d'ouvrir", mais dans celui où j'ai déjà été dix fois et où je commande toujours la même chose (restaurant dont je tairai le nom, je suis égoïste et ne veux pas que Tout Paris vienne occuper les quelques places de ce minuscule paradis gastronomique. J'ai la douce folie de croire que le Tout Paris lit mon blog).

Je suis allée voir un film au festival du cinéma russe (complet une heure avant le début de la séance) et ai quitté le navire bredouille en emportant une brochure annonçant la programmation des "100 plus beaux films de l'histoire du cinéma" au Reflet Médicis, cette année. Bingo! Après réflexion, je verrais bien Citizen Kane plutôt que l'Echange.

Puis, enfin, ce matin, je lis le blog d'Elsa (que j'adore), et que vois-je? Un joli mot sur le temps perdu, le temps rattrapé, "ce temps que je récupère miraculeusement en me décommandant à la dernière minute", "ce plaisir indicible de disposer soudain d'un temps que vous aviez cru perdu". Ca y est, je commence à comprendre... Après l'écologie et l'impératif d'économiser les ressources naturelles, l'ordre du jour (mon ordre du jour personnel) sera à la lutte contre le gaspillage du temps!

L'autre jour, je me disais, en lisant 84, Charing Cross Road, que cela me prenait le même temps de lire un livre que de lire un magazine; que la pile des Télérama à peine feuilletés qui s'amasse au pied du canapé équivaut, en termes de temps, à deux bons tomes de Pléïade... et que je devrais peut-être me résoudre à résilier mon abonnement, à arrêter de suivre l'actualité des expos, à aller voir un musée où il n'y a AUCUNE expo, comme ça, pour changer, et à écouter ENFIN le coffret intégral de Mozart que j'ai acheté l'année dernière et dont j'ai dû écouter cinq ou six sonates. Que je devrais arrêter d'essayer d'écrire en gardant trente onglets de navigation Internet ouverts. Et, de temps en temps, s'installer dans un café, prendre un café crème, un bon livre et, ainsi isolée dans ma bulle, plonger dans une histoire dont la profondeur n'aurait d'égal que la platitude de l'actualité. Ce serait pas mal, tout ça, non ?

En lisant La quatrième Vologda de Chalamov (un grand écrivain russe - en passant, lisez ses Récits de la Kolyma si vous ne connaissez pas), je suis tombée sur un passage où il décrit ses soirées d'adolescent. Que fait donc le jeune Varlam ayant obtenu la permission de rentrer tard le soir? Non, il n'en profite pas pour aller en boîte ou organiser une soirée jeux vidéo chez des potes. Il passe la soirée chez un copain qui a la chance d'avoir une vraie bibliothèque, et ils s'enivrent alors de... La Chanson de Roland. Incroyable, non? Le tout se passe à Vologda, une ville de province du Nord russe, au début du siècle.

On n'arrête pas le progrès, certes, mais parfois j'ai l'impression que l'on devrait.

PS: j'écouterais quand même tous les matins Ali Baddou sur France Culture pour garder un oeil une oreille sur le monde.

Crédits photo: Alfred Cromback, www.alfred-cromback.com

Lire la suite...

mardi 11 novembre 2008

(Resto) Chez Papa, cuisine de Sud-Ouest

Ah, Chez Papa, encore une institution - irremplaçable ambassadeur à Paris de la cuisine de Sud-Ouest. Un restaurant idéal pour un bon déjeuner ou dîner entre amis. Evitez cependant d'y amener vos copines au régime et les fines bouches.

La déco est sans intérêt et plutôt cantine, ce qui n'est point dérangeant pour cet endroit qui se veut convivial. Malgré la profusion de dénominations sur le menu, on finit tous par se rabattre qui sur la Boyarde complète (salade, pommes de terre sautées, jambon, cantal, bleu et deux oeufs au plat par-dessus) ou sur la Maxi-Papa (cf photo: salade, pommes de terre sautées, gésiers, foies de volaille, lardons, tomates, cantal). Les produits sont frais, les gésiers et les foies parfaitement cuits, rien à dire de ce côté-là, sauf peut-être des pommes de terre à peine ramollies, mais je chipote. Les salades sont servies dans des espèces d'énormes casseroles d'environ 20-25cm de profondeur (sic!) qu'on a du mal à finir. Nous entamons gaiement une bouteille de vin quand une vieille dame nous aborde en s'exclamant: "Ca me fait tellement plaisir de vous voir manger!" On était tout sages et mignons, paraît-il. En tout cas, on a été ravis d'apprendre que la vue de six gloutons pouvait encore ravir les vieux.

D'après de nombreux commentaires (dont la plupart sont négatifs) qui pullulent sur Internet, le service est mauvais et très lent - mais comme nous y avions déjeuné à 16h un 1er novembre, rien de tel à signaler, nous avions toute l'attention des serveurs! Nous n'avions attendu qu'un quart d'heure pour être servis, les cafés étaient arrivés quelques minutes à peine après avoir été commandés et l'addition... on peut toujours la régler au bar. Evitez d'y aller un vendredi ou un samedi soir et préférez les salades (c'est ce qu'il y a de mieux) et surtout - surtout! - zappez le repas suivant. Il existe huit Chez Papa à Paris (c'est une sorte de mini-chaîne familiale, du moins à l'origine), je crois que celui de la rue Gassendi est un des meilleurs.

En pratique:
Chez Papa
6 rue Gassendi
75014 Paris
Tel 01 43 22 41 19

Lire la suite...

dimanche 9 novembre 2008

(Cine) Semaine du cinéma russe à Paris: "Regards de Russie" 2008

Un petit mot pour vous rappeler que le festival Regards de Russie commence cette semaine - mercredi 12, plus exactement! Il s'agit de la sixième édition de cette semaine du cinéma russe à Paris, qui se tient cette fois-ci au Médicis. L'intérêt, c'est de voir des films russes récentissimes et qui ne vont très probablement pas sortir sur les écrans français (même pas ceux qui sont bons...) Alors autant en profiter!

Pour ma part, j'en ai repéré deux à voir: "Ils mourront tous sauf moi" de Valeria Gaia Guermanica, prix spécial à Cannes cette année - une histoire de trois filles de seconde la veille d'une discothèque (jetez un coup d'oeil sur la bande-annonce - en russe, malheureusement - histoire de vous faire une idée). L'autre film, c'est le nouveau d'Oxana Bytchkova, la réalisatrice dont j'ai simplement a-do-ré le premier film, "Piter FM" (celui-ci se trouve facilement dans les torrents + sous-titres en anglais dispos). Bytchkova reste dans le genre de la comédie romantique pas mièvre mais déplace le lieu d'action de Saint-Pétersbourg à Moscou et rajoute une bonne dizaine d'années aux protagonistes, une interprète moscovite et un marionnettiste anglais venu en tournée (bande-annonce en russe également). Alors, les critiques se plaignent en disant qu'elle ne va pas plus loin que son premier film, et les spectateurs adorent... Je suis tentée de lui laisser une chance. Et puis, je suis assez curieuse devant cette explosion du cinéma fait par les filles, il y en a de plus en plus qui passent derrière la caméra en Russie avec des résultats assez probants!

Pour le reste, il y a quelques réalisateurs qui ont fait des films bons et/ou prometteurs (comme Serebrennikov avec son Playing the Victim primé à Rome, ou encore Outchitel avec "Promenade"), mais dont les films montrés cette année me laissent dubitative... La sélection se fait côté russe (par l'organisation Interfest qui, depuis les temps soviétiques, s'occupe de la promotion du cinéma russe et organise notamment le Festival de Moscou), aussi, si les films présentés reflètent effectivement la production cinématographique actuelle, tout n'est pas bon à voir! N'hésitez pas à me dire si vous avez repéré d'autres films à voir dans la programmation!

En bonus, rencontres avec les réalisateurs et les acteurs pratiquement chaque soir.

En pratique:
Du 12 au 18 novembre
Reflet Médicis
Séances de 14h30 à 21h
Programmation et horaires ici et plus d'infos sur les films ici.

Lire la suite...

vendredi 7 novembre 2008

(Livres) Un Homme de Philip Roth

Comme beaucoup de lecteurs français, j'ai découvert Philip Roth avec la Pastorale américaine (qui m'avait été recommandée par Eric Macé, mon prof de socio à la Sorbonne et seul prof que j'aie jamais trouvé bien à la fac, ce qui lui vaut donc cette mention dans mon blog ultra-populaire), puis avec La Tâche. Un Homme, le dernier roman de Philip Roth traduit en français (alors que le suivant, Exit Ghost, vient de paraître aux Etats-Unis), se rapproche un peu de La Tâche - pas dans le traitement de la question raciale (absente dans Un homme), mais par son approche de la vieillesse et des relations tumultueuses avec les femmes.

L'idée, celle de raconter l'histoire d'un homme à travers les diverses maladies qui le frappent dès son enfance et qui le mènent à la mort, est intéressante car elle englobe le roman comme la maladie englobe toutes nos pensées et tous nos actes dès qu'elle pointe le nez. Tout à coup, vos activités, votre entourage, vos préoccupations et vos peines semblent éclairées de la lumière crue d'un non-être éventuel. De quoi transformer la vie d'un homme. La portée universelle de cette idée (d'ailleurs, le roman se nomme "Everyman" en version originale - car la seule chose que tous les hommes partagent véritablement, c'est leur destination finale) est de celles qui fondent les romans de génie. Un homme en est un.

Un homme - ni nom, ni prénom - traverse sa vie comme enveloppé d'un nuage de mots de réconfort, de mots blessants, de souvenirs, de regrets, d'éclats d'espoir et de résignation qui fondent peu à peu son caractère et guident son destin. D'erreur en erreur, il apprend, mais n'arrête pas d'en faire. La vie est-elle une succession d'erreurs et d'intentions inabouties? En un long flashback, Philip Roth remonte la vie d'un homme en une sorte de rondo qui commence par un enterrement et se termine par une mort.

Le style sec, privé d'ironie qui a si longtemps caractérisé l'oeuvre de Philip Roth, est d'autant plus puissant que, dans son dépouillement extrême, il ne fait que transmettre la simplicité de cette fin connue et attendue de tous. Cela m'a fait penser à une définition (j'en conviens, un brin banale et facile) de la crise middle-age: "un jour, un homme se réveille et réalise qu'un jour, il va mourir. Vraiment mourir. Et le pire, c'est qu'il est déjà ce qu'il va devenir. Il ne sera jamais riche. Il ne sera jamais chanteur de rock, peintre ou cosmonaute". Mais si la crise middle-age est un phénomène psychologique, la vieillesse est, elle, intimement liée aux transformations du corps: le corps est ainsi le paysage dans lequel se déroule le roman.

Le héros se rend compte qu'il ne séduit plus, qu'il ne peut plus nager dans l'océan, que son corps devient un réceptacle d'artefacts qui le maintiennent en vie. Qu'il n'est plus ce qu'il était, même si ce qu'il a été n'était pas ce qu'il avait voulu devenir. C'est alors que, dans un dernier élan de vitalité, il se lance de la peinture, avant de se rendre compte qu'il est trop tard, ou bien qu'il a toujours été trop tard pour lui de devenir peintre, qu'il n'a jamais eu de talent. Comment savoir si ce talent, il l'a gaspillé en travaillant dans la publicité ou si, tout simplement, tout cela n'était qu'un leurre et qu'il n'est pas devenu peintre parce qu'il ne fallait pas qu'il le devienne?


Un roman sans artifices. Poignant pour qui veut comprendre ce qui se passe dans la tête de nos grands-parents quand ils radotent "Surtout, la santé, je te souhate beaucoup de santé". Moi qui me suis toujours demandée "Mais pourquoi est-ce qu'elle m'en souhaite pour mon anniversaire, je suis jeune et pas malade?", j'ai enfin compris ce qu'ils voulaient dire.

Vous pouvez lire un assez long extrait du début ici; ainsi qu'une interview de Philip Roth ici.

Lire la suite...

mercredi 5 novembre 2008

(Ciné) Quantum of Solace, ou un quantum de consolation

James Bond est LE projet marketing pour lequel je succombe systématiquement... depuis quelques années. C'est-à-dire, depuis Casino Royale. Ca, c'était vraiment un super film... Aussi, vous comprendrez que je ne pouvais pas ne pas voir Quantum of Solace. Après ce prélude qui frôle les frontières de la logique humaine, je vous explique le pourquoi du comment: il y a comme une nette coupure entre les james bond d'avant et après Casino Royale. En fait, je ne suis pas certaine d'aimer les James Bond (si j'en regarde, en général j'éteins une demi-heure avant la fin). J'aime juste Casino Royale. Et en plus, je n'aime pas Daniel Craig (il a trop une tête de kgbiste bodybuildé). Mais alors, pourquoi, pourquoi on y retourne?

Vous avez deviné la suite: c'est bien la question que je me pose. Le nouveau James Bond tient en haleine pendant toute sa durée. Lorsque vous en sortez, vous êtes enchanté... et puis le lendemain, il faut écrire une critique, et dire pourquoi vous l'avez aimé. Et vous êtes à court d'arguments, à part que vous avez quand même passé une bonne soirée. Un scénario haletant mais plutôt mince (bien que la thématique ferait très plaisir à Bertrand Badie - je parle de la matière première pour laquelle les méchants se battent avec les gentils... BB disait toujours pendant ses cours d'Espace Mondial à Sciences Po: "la plupart des guerres à venir se feront à cause de XX" (j'ai pas envie de vous mettre des spoilers et de vous gâcher le suspense des cours de Bertrand Badie - donc, mystère et boule de gomme de rigueur).

Un Daniel Craig expressif mais dont on se rend compte que son costume impeccable (Tom Ford cette année) exprime bien plus que son visage. D'ailleurs, je pourrais le regarder pendant des heures marcher dans son costume. Une James Bond girl dont tout le monde (i.e. le dernier Elle) nous a dit à quel point elle était jolie et qui, au final, ne vaut pas la fêlure d'Eva Green dans l'épisode précédent. Un méchant au regard fou plutôt bien en commercial aux allures géopolitiques - sans plus, mais comme on aime bien Amalric et qu'il est français, ça se regarde. Des scènes d'action impressionnantes mais qu'on a du mal à suivre tellement le montage est épileptique (j'aurais bien aimé voir ce Pallio de Sienne en entier...) - d'autant plus qu'elles rappellent immanquablement celle de La vengeance dans la peau de Greengrass (mais si, les Jason Bourne). Des paysages fantastiques, comme toujours (c'est inratable). Des innovations technologiques, bien sûr (trop cool la table tactile en guise d'écran). De l'humour, beaucoup moins (quelques répliques très réussies, tout de même). De romance, point. Elle est dans Casino Royale, et tout Quantum of Solace n'en est qu'un long deuil. Ah oui, et puis, les gadgets, j'avais oublié les gadgets. Y en a plus (Sony n'est pas très gadgets j'imagine, c'est plus facile de vendre un ordi ou un téléphone, alors ça et le flingue sont les seuls instruments de travail de Bond).

C'est drôle, mais la scène dont je me souviens le mieux après avoir vu le film c'est la vieille dame italienne qui pleure ses bouteilles de vin cassées après le passage de James Bond.

En bonus, voici la chanson du générique, interprété par Jack White des White Stripes et Alicia Keys; pour le coup, la chanson est bien:

--Another way to die--


--

Je pense que je ne ferai pas de meilleure critique que celle d'Aurélien Ferenczi qui reste LE critique méchant et drôle par excellence. Allez donc chez lui! Et moi je reste là, à attendre le prochain James Bond dont je sais que j'irai le voir de toute façon. Rien que pour voir les costumes de Tom Ford, mon quantum de consolation à moi.

Lire la suite...

dimanche 2 novembre 2008

(TV) Comment fabrique-t-on le JT? Reportage des coulisses de France 2

Dans notre société médiatique, pénétrer dans les coulisses de la télévision est un peu comme assister à la cérémonie du lever de Louis XIV au XVIIe siècle. Et quelle est la quintessence de la télé si ce n'est le Journal Télévisé - probablement l'une des émissions les plus anciennes et les plus regardées... Je me suis donc faufilée, hier, dans les coulisses de l'édition du JT de 13h sur France 2 à la découverte d'un monde de gens passionnés... et passionnants. Reportage.

Tout y est chronométré à la seconde - y compris nos déplacements - du montage au mixage, du PACT (là où l'on réceptionne tous les reportages) à la régie et au studio... On passe le temps à courir derrière les gens et à se demander si quelqu'un possède ici vraiment un bureau, tellement personne ne tient en place. On nous présente les gens qui passent en coup de vent - quand on a fini de prononcer leur nom et fonction, on ne voit déjà plus que leur dos et n'entend qu'un lointain "Bienvenue!". "C'est laquelle Marie Drucker?" me siffle un copain (il habite à Bruxelles, ils ont pas la télé là-bas). Je lui chuchote: "J'imagine que c'est celle qui est la mieux habillée" (je regarde peu la télé). On doit être un drôle de groupe.

On suit la préparation des reportages sur le "conducteur" - un logiciel qui affiche, sur tous les écrans, l'état d'avancement de tous les reportages en temps réel, étape après étape. Il est 12h24, il n'y en a que trois de prêts. "C'est normal, c'est de l'actu", nous dit-on. Nous, on trouve ça super stressant, quand même, l'actu. Mais apparemment, la journée est "calme" - un samedi 1er novembre, il n'y a pas âme qui vive dans l'immense bâtiment de France Télévisions, sauf à la rédaction du JT. Bien que ce soit un jour férié, l'actu ne manque pas: des otages au Cameroun à la victoire de Tsonga au tennis, des élections américaines à la nouvelle loi sur l'âge de la retraite... "Nous n'avons que 22 minutes, et là, nous dépassons déjà d'une minute 57. On va devoir réduire le duplex avec la Comédie Française... Et il faut que Pierre réduise son reportage sur les camerounais à 1:20". On revient voir Pierre, qu'on avait vu tout à l'heure lire son commentaire à voix haute au rédacteur en chef-adjoint pour approbation. Il est déjà en train d'enregistrer le commentaire au studio de mixage. Une phrase déborde d'une demi-seconde sur le début d'une interview. "Dis-moi, tu es obligé de dire cette phrase "Au siège, l'inquiétude grandit?" Je veux dire, on comprend déjà plus ou moins qu'ils ne doivent pas être très heureux... On coupe!" Pierre répète le commentaire sans la phrase. "Tu as raison, dit-il, ça fait moins nunuche". C'est validé.

Nous revenons au point de réception des reportages. Tout à coup, on remarque en jetant un coup d'œil sur le conducteur que le reportage sur les camerounais est marqué en rouge. "Mauvais signe! nous explique-t-on. Ça veut dire que le rédacteur en chef n'a pas approuvé le reportage." Mais, pourtant... c'était parfait, non? "Et non! Là, Pierre avait dit "tous travaillaient chez Bourbon", comme s'ils étaient déjà morts! Il faut qu'il réenregistre ce passage avec "tous travaillent"..." Rectifié. Le reportage passe enfin en vert.

Le reportage sur la Toussaint arrive de Toulouse. Ça parle de chrysanthèmes "aux couleurs vives" mais qui ont été associées aux morts (vraiment, c'est difficile de faire preuve d'originalité dans un sujet pareil). Dans le reportage, une dame à la chevelure rousse défraîchie avoue: "J'aime les couleurs! C'est vif!". "Eh ben va te refaire une couleur, s'exclame quelqu'un. On en reparle après!" Tout le monde s'esclaffe. L'ambiance est très bon enfant...

On se dirige déjà vers le studio, alors que la moitié des reportages ne sont pas encore prêts. Certains, nous raconte-t-on, continueront à arriver pendant le JT - et parfois, lorsqu'on n'a pas le temps d'enregistrer le commentaire, et il est lu en direct. Marie Drucker, qui remplace Laurent Delahousse parti à New York, est déjà là (c'était bien celle que je pensais). Tout est réglé au millimètre, on nous indique les deux endroits d'où on peut regarder sans déranger. On a le choix entre Marie Drucker de face et Marie Drucker de profil. "15 secondes!" C'est parti. On écarquille les yeux pour mieux voir, Marie Drucker doit bien se demander qui c'est cette bande de crétins.

"Bonjour à tous, bienvenue au sommaire de votre journal de 13h sur France 2". Les reportages se suivent sans accrocs, mais tout à coup on sent l'agitation monter dans les coulisses du plateau: "On a supprimé tout le foot!" Le journal était bien trop long. On réarrange le texte pour Marie Drucker. Tout se poursuit... Voici le reportage sur "Les bureaux de Dieu", le film de Claire Simon sur le planning familial. Nathalie Baye apparaît à l'écran... Une fille pointe tout de suite sur ses lèvres, visiblement refaites. "On a vu pire", lui répond une autre. La télé est un monde sans merci!

C'est fini, les lumières s'éteignent, le studio se vide ("J'ai faim!" "Mettez-moi les carottes râpées de côté!" - entend-on de toutes parts). Marie Drucker vient nous parler. Nous, les simples mortels, trouvons ça trop sympa, on se demande si Claire Chazal nous aurait gratifié ne serait-ce que d'un regard. Puis vient l'heure de la réunion critique - elle est organisée après chaque JT pour décortiquer tout ce qui n'allait pas ou, au contraire, allait bien. On n'y participe pas, faut pas pousser non plus, hein. En revanche, on en profite pour aller essayer le siège de Marie Drucker dans ce studio blanc très "convivial" que l'on appelle, chez Frane 2, "le bar à sushi". Puis on visite tous les autres - on se retient comme on peut, mais on finit par le dire: "Ça n'a rien à voir avec comment on le voit à la télé! En vrai, ça fait cheap, en fait..." Ben oui.

En pratique:

Il faut connaître quelqu'un chez France Télévisions, qui soit suffisamment sympa pour vous faire faire le tour et suffisamment influent pour que ses collègues ne grognent pas à la vue d'un groupe de "visiteurs".
Sinon, vous pouvez aussi regarder le JT sur Internet ici. Et me poser des questions dans les commentaires, bien sûr!

PS: Les prénoms ont été changés (sauf Marie Drucker, qui était là pour de vrai).

Lire la suite...