(TV) Comment fabrique-t-on le JT? Reportage des coulisses de France 2 | Une Russe à Paris
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dimanche 2 novembre 2008

(TV) Comment fabrique-t-on le JT? Reportage des coulisses de France 2

Dans notre société médiatique, pénétrer dans les coulisses de la télévision est un peu comme assister à la cérémonie du lever de Louis XIV au XVIIe siècle. Et quelle est la quintessence de la télé si ce n'est le Journal Télévisé - probablement l'une des émissions les plus anciennes et les plus regardées... Je me suis donc faufilée, hier, dans les coulisses de l'édition du JT de 13h sur France 2 à la découverte d'un monde de gens passionnés... et passionnants. Reportage.

Tout y est chronométré à la seconde - y compris nos déplacements - du montage au mixage, du PACT (là où l'on réceptionne tous les reportages) à la régie et au studio... On passe le temps à courir derrière les gens et à se demander si quelqu'un possède ici vraiment un bureau, tellement personne ne tient en place. On nous présente les gens qui passent en coup de vent - quand on a fini de prononcer leur nom et fonction, on ne voit déjà plus que leur dos et n'entend qu'un lointain "Bienvenue!". "C'est laquelle Marie Drucker?" me siffle un copain (il habite à Bruxelles, ils ont pas la télé là-bas). Je lui chuchote: "J'imagine que c'est celle qui est la mieux habillée" (je regarde peu la télé). On doit être un drôle de groupe.

On suit la préparation des reportages sur le "conducteur" - un logiciel qui affiche, sur tous les écrans, l'état d'avancement de tous les reportages en temps réel, étape après étape. Il est 12h24, il n'y en a que trois de prêts. "C'est normal, c'est de l'actu", nous dit-on. Nous, on trouve ça super stressant, quand même, l'actu. Mais apparemment, la journée est "calme" - un samedi 1er novembre, il n'y a pas âme qui vive dans l'immense bâtiment de France Télévisions, sauf à la rédaction du JT. Bien que ce soit un jour férié, l'actu ne manque pas: des otages au Cameroun à la victoire de Tsonga au tennis, des élections américaines à la nouvelle loi sur l'âge de la retraite... "Nous n'avons que 22 minutes, et là, nous dépassons déjà d'une minute 57. On va devoir réduire le duplex avec la Comédie Française... Et il faut que Pierre réduise son reportage sur les camerounais à 1:20". On revient voir Pierre, qu'on avait vu tout à l'heure lire son commentaire à voix haute au rédacteur en chef-adjoint pour approbation. Il est déjà en train d'enregistrer le commentaire au studio de mixage. Une phrase déborde d'une demi-seconde sur le début d'une interview. "Dis-moi, tu es obligé de dire cette phrase "Au siège, l'inquiétude grandit?" Je veux dire, on comprend déjà plus ou moins qu'ils ne doivent pas être très heureux... On coupe!" Pierre répète le commentaire sans la phrase. "Tu as raison, dit-il, ça fait moins nunuche". C'est validé.

Nous revenons au point de réception des reportages. Tout à coup, on remarque en jetant un coup d'œil sur le conducteur que le reportage sur les camerounais est marqué en rouge. "Mauvais signe! nous explique-t-on. Ça veut dire que le rédacteur en chef n'a pas approuvé le reportage." Mais, pourtant... c'était parfait, non? "Et non! Là, Pierre avait dit "tous travaillaient chez Bourbon", comme s'ils étaient déjà morts! Il faut qu'il réenregistre ce passage avec "tous travaillent"..." Rectifié. Le reportage passe enfin en vert.

Le reportage sur la Toussaint arrive de Toulouse. Ça parle de chrysanthèmes "aux couleurs vives" mais qui ont été associées aux morts (vraiment, c'est difficile de faire preuve d'originalité dans un sujet pareil). Dans le reportage, une dame à la chevelure rousse défraîchie avoue: "J'aime les couleurs! C'est vif!". "Eh ben va te refaire une couleur, s'exclame quelqu'un. On en reparle après!" Tout le monde s'esclaffe. L'ambiance est très bon enfant...

On se dirige déjà vers le studio, alors que la moitié des reportages ne sont pas encore prêts. Certains, nous raconte-t-on, continueront à arriver pendant le JT - et parfois, lorsqu'on n'a pas le temps d'enregistrer le commentaire, et il est lu en direct. Marie Drucker, qui remplace Laurent Delahousse parti à New York, est déjà là (c'était bien celle que je pensais). Tout est réglé au millimètre, on nous indique les deux endroits d'où on peut regarder sans déranger. On a le choix entre Marie Drucker de face et Marie Drucker de profil. "15 secondes!" C'est parti. On écarquille les yeux pour mieux voir, Marie Drucker doit bien se demander qui c'est cette bande de crétins.

"Bonjour à tous, bienvenue au sommaire de votre journal de 13h sur France 2". Les reportages se suivent sans accrocs, mais tout à coup on sent l'agitation monter dans les coulisses du plateau: "On a supprimé tout le foot!" Le journal était bien trop long. On réarrange le texte pour Marie Drucker. Tout se poursuit... Voici le reportage sur "Les bureaux de Dieu", le film de Claire Simon sur le planning familial. Nathalie Baye apparaît à l'écran... Une fille pointe tout de suite sur ses lèvres, visiblement refaites. "On a vu pire", lui répond une autre. La télé est un monde sans merci!

C'est fini, les lumières s'éteignent, le studio se vide ("J'ai faim!" "Mettez-moi les carottes râpées de côté!" - entend-on de toutes parts). Marie Drucker vient nous parler. Nous, les simples mortels, trouvons ça trop sympa, on se demande si Claire Chazal nous aurait gratifié ne serait-ce que d'un regard. Puis vient l'heure de la réunion critique - elle est organisée après chaque JT pour décortiquer tout ce qui n'allait pas ou, au contraire, allait bien. On n'y participe pas, faut pas pousser non plus, hein. En revanche, on en profite pour aller essayer le siège de Marie Drucker dans ce studio blanc très "convivial" que l'on appelle, chez Frane 2, "le bar à sushi". Puis on visite tous les autres - on se retient comme on peut, mais on finit par le dire: "Ça n'a rien à voir avec comment on le voit à la télé! En vrai, ça fait cheap, en fait..." Ben oui.

En pratique:

Il faut connaître quelqu'un chez France Télévisions, qui soit suffisamment sympa pour vous faire faire le tour et suffisamment influent pour que ses collègues ne grognent pas à la vue d'un groupe de "visiteurs".
Sinon, vous pouvez aussi regarder le JT sur Internet ici. Et me poser des questions dans les commentaires, bien sûr!

PS: Les prénoms ont été changés (sauf Marie Drucker, qui était là pour de vrai).