(Expos) Picasso et les maîtres au Grand Palais | Une Russe à Paris
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vendredi 31 octobre 2008

(Expos) Picasso et les maîtres au Grand Palais

Vous devez être en train de vous tenir la tête exactement comme Picasso le fait sur cette photo: "Encore, elle remet une couche avec Picasso?!" Cette saison automne-hiver 2008 Picasso me fait penser aux tendances de la mode où tous les créateurs sortent, comme par enchantement, les mêmes modèles au même moment (qui a décidé que cet automne on doit porter des collants colorés?!) - eh bien, cette saison culturelle, comme je vous le disais il y a quelques jours, sera Picasso ou ne sera pas. J'ai renoncé à renoncer à ma saison culturelle (je m'embrouille les pinceaux, mais j'y arrive) et suis allée voir l'exposition Picasso et les maîtres au Grand Palais.

De gustibus non disputandum, certes, mais si on ne le faisait pas, de quoi parlerait-on? Finalement, au Grand Palais, il y en a pour tout le monde... Les mécontents, tout d'abord (LA meilleure critique d'un mécontent ici, en anglais): trop de marketing, le concept n'est pas si original que ça, ça vole la vedette à d'autres expositions bien plus méritantes (e.g. Mantegna au Louvre), et enfin, on finit par préférer les "maîtres" à Picasso. Les indécis, comme moi: j'aime Picasso avant sa période cubiste... puis seulement ses sculptures et sa céramique. A ceux-là, le Grand Palais offre "les maîtres" - des chefs-d'oeuvre par poignées, et vas-y que je t'accroche la Maja desnuda... Et puis, bien sûr, cela offre toujours l'espoir de changer d'avis. A ceux qui sont contents (pour contrebalancer, probablement - on est à Paris, quand même!), le Grand Palais offre la queue. La queue des contents se forme dès le matin (vendredi à 9h du matin, c'est dire) pour ne se résorber qu'à la fermeture. La pluie vous dispense de la nécessité de prendre une douche le matin et vous permet donc de gagner quelques minutes supplémentaires de sommeil. Et puis, tous ces chefs-d'oeuvre, point d'oeuvres mineures, ou presque - tout est fait pour vous éveiller, vous qui avez dépensé toutes vos forces vitales de la semaine dans la queue.

Blagues à part, je suis très contente d'avoir vu l'exposition (je n'ai pas fait la queue). Dans un souci de clarté, le parcours est à la fois chronologique et thématique, et commence avec les toutes premières oeuvres de Picasso dont ses esquisses de statues antiques (quelques unes, très bien réalisées, datent de l'année de ses 13 ans. Treize...). Puis, des références classiques on passe aux peintres espagnols, puis aux impressionnistes et au genre de portrait, puis - le gros morceau - les "variations" d'après les tableaux célèbres comme L'enlèvement des Sabines ou encore Les Ménines. Puis aux natures mortes, puis, enfin, aux nus (pour réveilleur ceux qui commençaient à traîner les pieds, il y a une petie série érotique à la fin pour leur permettre de survivre jusqu'à la tasse de café salutaire). Je trouve que, finalement, c'est une excellente façon d'apprendre à regarder Picasso (surtout tardif) - c'est un peu comme le jeu où il faut trouver les différences entre deux images. On le voit surtout avec des tableaux comme "Les demoiselles du bord de la Seine" de Courbet et la réinterprétation de Picasso que, personnellement, j'aurais bien moins appréciée si je n'avais pas l'original sous les yeux. D'ailleurs, à cet égard, n'hésitez pas à feuilleter le catalogue, où les oeuvres sont parfois mieux disposées et où, surtout, sont présentés les tableaux "manquants" (i.e. dans un "couple" de tableaux "original - réinterprétation" il y en a parfois un qui n'est pas exposé).

Au final, dans ce joyeux brouhaha de chefs-d'oeuvre et leurs contemplateurs (évitez surtout les gens avec les enfants, sinon les commentaires "ah non, ça ce n'est pas Picasso, c'est un autre monsieur qui l'a peint, Paul Cézanne" vont vous pourrir la visite). (évitez aussi les vieux, parce qu'ils écoutent leurs audioguides tellement fort qu'on se croirait dans un centre d'essai de baladeurs MP3). Où en étais-je? Dans ce joyeux brouhaha chacun trouve ce qu'il n'a pas cherché, mais ce qui lui parle le plus. Pour moi, deux magnifiques natures mortes de Chardin que j'ai trouvées magnétiques: un art de vivre lointain, un temps où l'on vivait avec goût, où l'on vivait avec soin, où l'on vivait avec simplicité, où l'on vivait sans hâte. Un autre tableau, de Picasso cette fois-ci - sa Buveuse d'absinthe (1901). Il est rare que le tableau commence à vivre sous mes yeux (j'ai toujours été plus apte à apprécier la sculpture, mes yeux ne sont pas toujours habiles avec le 2D). Mais là, je voyais cette femme, assise dans un café... Son poignet un brin brisé par l'arthrose dans un geste las s'est immobilisé au-dessus de son verre. Dehors, derrière la vitre ruisselante de pluie, on devine une rue sombre - c'est probablement l'hiver; quelques passants indifférents, et une petite fenêtre jaune derrière laquelle on attend quelqu'un - mais ce quelqu'un, ce n'est pas elle, la buveuse. Alors, elle reste assise, avec son verre d'absinthe, et d'un coin de son oeil droit, observe la vie des autres.

N'oubliez pas que deux parties de la même exposition (Variations autour du "Déjeuner sur l'herbe de Manet" et autour des "Femmes d'Alger" de Delacroix) se trouvent au Musée d'Orsay et au Musée du Louvre (ne les cherchez donc pas au Grand Palais, d'autant plus que les gardiens des salles ne savent pas "comment ça se présente", Manet. On devrait les envoyer faire la queue dehors, ceux-là! Qu'ils apprennent le prix de l'art...).

En pratique:

Au Grand Palais, jusqu'au 2 février 2009.
Vous savez où ça se trouve.
Je vous conjure, réservez sur Internet! ou flashez votre carte de presse/sésame etc.


Crédits illustrations:

Le Gobelet d'argent (vers 1768)
Jean Baptiste Siméon Chardin
Musée du Louvre, Paris

La buveuse d'absinthe (1901)
Pablo Picasso
Succession Picasso 2008