(Livres) Un Homme de Philip Roth | Une Russe à Paris
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vendredi 7 novembre 2008

(Livres) Un Homme de Philip Roth

Comme beaucoup de lecteurs français, j'ai découvert Philip Roth avec la Pastorale américaine (qui m'avait été recommandée par Eric Macé, mon prof de socio à la Sorbonne et seul prof que j'aie jamais trouvé bien à la fac, ce qui lui vaut donc cette mention dans mon blog ultra-populaire), puis avec La Tâche. Un Homme, le dernier roman de Philip Roth traduit en français (alors que le suivant, Exit Ghost, vient de paraître aux Etats-Unis), se rapproche un peu de La Tâche - pas dans le traitement de la question raciale (absente dans Un homme), mais par son approche de la vieillesse et des relations tumultueuses avec les femmes.

L'idée, celle de raconter l'histoire d'un homme à travers les diverses maladies qui le frappent dès son enfance et qui le mènent à la mort, est intéressante car elle englobe le roman comme la maladie englobe toutes nos pensées et tous nos actes dès qu'elle pointe le nez. Tout à coup, vos activités, votre entourage, vos préoccupations et vos peines semblent éclairées de la lumière crue d'un non-être éventuel. De quoi transformer la vie d'un homme. La portée universelle de cette idée (d'ailleurs, le roman se nomme "Everyman" en version originale - car la seule chose que tous les hommes partagent véritablement, c'est leur destination finale) est de celles qui fondent les romans de génie. Un homme en est un.

Un homme - ni nom, ni prénom - traverse sa vie comme enveloppé d'un nuage de mots de réconfort, de mots blessants, de souvenirs, de regrets, d'éclats d'espoir et de résignation qui fondent peu à peu son caractère et guident son destin. D'erreur en erreur, il apprend, mais n'arrête pas d'en faire. La vie est-elle une succession d'erreurs et d'intentions inabouties? En un long flashback, Philip Roth remonte la vie d'un homme en une sorte de rondo qui commence par un enterrement et se termine par une mort.

Le style sec, privé d'ironie qui a si longtemps caractérisé l'oeuvre de Philip Roth, est d'autant plus puissant que, dans son dépouillement extrême, il ne fait que transmettre la simplicité de cette fin connue et attendue de tous. Cela m'a fait penser à une définition (j'en conviens, un brin banale et facile) de la crise middle-age: "un jour, un homme se réveille et réalise qu'un jour, il va mourir. Vraiment mourir. Et le pire, c'est qu'il est déjà ce qu'il va devenir. Il ne sera jamais riche. Il ne sera jamais chanteur de rock, peintre ou cosmonaute". Mais si la crise middle-age est un phénomène psychologique, la vieillesse est, elle, intimement liée aux transformations du corps: le corps est ainsi le paysage dans lequel se déroule le roman.

Le héros se rend compte qu'il ne séduit plus, qu'il ne peut plus nager dans l'océan, que son corps devient un réceptacle d'artefacts qui le maintiennent en vie. Qu'il n'est plus ce qu'il était, même si ce qu'il a été n'était pas ce qu'il avait voulu devenir. C'est alors que, dans un dernier élan de vitalité, il se lance de la peinture, avant de se rendre compte qu'il est trop tard, ou bien qu'il a toujours été trop tard pour lui de devenir peintre, qu'il n'a jamais eu de talent. Comment savoir si ce talent, il l'a gaspillé en travaillant dans la publicité ou si, tout simplement, tout cela n'était qu'un leurre et qu'il n'est pas devenu peintre parce qu'il ne fallait pas qu'il le devienne?


Un roman sans artifices. Poignant pour qui veut comprendre ce qui se passe dans la tête de nos grands-parents quand ils radotent "Surtout, la santé, je te souhate beaucoup de santé". Moi qui me suis toujours demandée "Mais pourquoi est-ce qu'elle m'en souhaite pour mon anniversaire, je suis jeune et pas malade?", j'ai enfin compris ce qu'ils voulaient dire.

Vous pouvez lire un assez long extrait du début ici; ainsi qu'une interview de Philip Roth ici.