(Opera) Eugene Oneguine a l'Opera Garnier | Une Russe à Paris
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vendredi 5 septembre 2008

(Opera) Eugene Oneguine a l'Opera Garnier

© Ingrata Donna border=


J'ai toujours dit que les opéras russes, il n'y a rien à faire, il n'y a que les Russes qui savent bien les faire (ah le début chauvin). Aussi me suis-je précipitée d'accepter une invitation spontanée (merci merci merci Hervé) pour aller voir la générale d'Eugène Onéguine à l'Opéra Garnier: une production entièrement "made in Bolchoï", dans une très belle mise en scène de Dmitri Tcherniakov et avec Ekaterina Scherbachenko, une Tatiana éblouissante. Courez vite le voir, il n'y a que six représentations à partir de ce soir !

Cette production avait fait scandale à Moscou, il y a deux ans, lorsqu'elle remplaça, a
u Bolchoï, la production de Pokrovsky preque canonisée du fait de son grand âge (créée en 1946). Dmitri Tcherniakov est aujourd'hui un des metteurs en scène les plus connus en Russie, avec toujours ce petit air de scandale autour de ses spectacles. Cependant, en Europe, il est difficile de comprendre comment cette mise en scène au bon goût de Tchekhov et de Stanislavsky a pu heurter la sensibilité du public russe. Mais, voyez-vous, en Russie, on est moins habitué au "réactualisations" (en gros, quand l'action se passe dans les années 1950 au lieu du XVIIIe siècle prévu par le compositeur), encore moins pour des oeuvres russes, et vraiment très peu pour des oeuvres aussi bien connues qu'Eugène Onéguine. On la connaît tellement bien (à la fois vers, musique et mise en scène) que les gens s'énervent quand il n'y a pas de jardin chez les Larine, quand la scène de duel n'est pas jouée selon les règles de l'art, quand Tatiana n'a pas de béret framboise au dernier acte... Il y avait eu, il y a deux ans, des rumeurs abracadabrantes sur cette production (Lensky coucherait avec Onéguine, tandis que Tatiana avouerait son amour par SMS) - mais elle est finalement très classique et épurée.


Un salon chez les Larine. Au centre, une grande table ovale. Le thé est servi, et les parents se rassemblent autour d'un gâteau, en écoutant une romance chantée par Olga et Tatiana. Une atmosphèr
e toute tchékhovienne pour cette production "de chambre" - sans grandes scènes de bal
, sans jardin, sans la neige pour le duel: tout s'y passe en huis clos, sous les yeux des invités. Cela peut énerver (la cinquième fois que l'on voit la table ovale, on n'en peut plus!), mais on ne peut pas reprocher à Tcherniakov de manquer de cohérence. La scène chez le prince Gremine (tiens, super blague - sur un site d'opéra, c'était marqué "Prince Gremline") se passe dans un salon rouge sang (très Zeffirelli-like). La direction des acteurs est très juste et les personnages sont plutôt bien trouvés, même si l'on peut discuter de certains choix (Lensky qui fait rire l'assemblée en singeant Monsieur Triquet qui, lui, reste dans un coin - et hop! un cachet en moins!)

Pourquoi je disais, plus haut, qu'il n'y avait que les Russes qui savaient chanter (et jouer) les opéras russes? C'est avant tout une question d'intonation. Ce n'est pas seulement une question de prononciation comme le pensent certains. Si l'on ne sent pas la beauté et le sens des phrases de Pouchkine, on ne peut pas les transmettre - qu'il s'agisse des musiciens de l'orchestre ou des chanteurs. C'est justement ça, l'avantage d'aller voir un Eugène Onéguine 100% russe: c'est comme aller manger la pizza à Naples. Souvent, les Russes qui vont à l'opéra y vont avant tout pour le spectacle, l'histoire d'amour qui finit mal, les personnages - bref tout ce qui, dans une interprétation occidentale, disparaît souvent au profit de la musique. Les Français disent fréquemment que la musique de Tchaïkovsky est mièvre, et ils l'interprètent alors avec toute la retenue dont ils sont capables. Mais c'est justement ces interprétations-là (très "judgemental", au fond) qui tuent cette musique en la privant de sa capacité à communiquer avec le spectateur (russe, en tout cas). Quel fut alors le plaisir d'écouter un orchestre russe jouer du Tchaïkovsky, sans complexes mais sans mauvais goût! L'orchestre du Bolchoï s'en tire avec mérite (sauf les vents, pas toujours à point), et la direction sensible de Vedernikov, malgré des tempi parfois discutables (l'air de Gremine vraiment trop lent), parvient à détourner l'attention des spectateurs de certains chanteurs qui ne la méritaient pas.

Les chanteurs. Comme souvent dans les troupes russes, Larina (Makvala Kasrashvili) et la Nourrice (Emma Sarkisyan) sont chantées par des vieilles troupières que l'on soupçonne d'avoir obtenu leur place dans la tournée parisienne au prix d'intrigues dignes des Medici, tant leur interprétation est faible. Les voix bougent, l'intonation en souffre, et le premier quatuor ("Privytchka svyshe nam dana") ressemble davantage à un dialogue théâtral tant on entend peu la mélodie. Grémine d'Anatolij Kotscherga fut probablement le pire que j'aie jamais entendu, j'avais l'impression d'entendre un chanteur de musichall de province avec sa voix fatiguée, projection trop ouverte, intonation vulgaire... Roman Shulakov est un Lenski plus lyrique qu'héroïque ("pas couillu", comme dirait quelqu'un) - il est parfaitement convaincant dans "Kuda, kuda", mais s'efface complètement dans la scène de dispute, faute de volume. Quant à Onéguine, il n'était pas mauvais, mais manquait cruellement de charisme, et son émission engorgée lui empêchait souvent non seulement d'exprimer ses sentiments mais même de dépasser la rampe. De plus, ce personnage est particulièrement difficile à interpréter, car, entre "l'homme admirable et séduisant à la Darcy qui n'accepte pas de ruiner la vie d'une toute jeune fille campagnarde" et "le sale con qui refuse l'amour de Tatiana parce qu'il ne sait pas ce qu'il veut", il n'y a qu'un pas. Vladislav Sulimsky l'a franchi, en privant son personnage de toute l'attraction qu'il pouvait exercer sur les jeunes filles comme moi (ou alors, moi aussi "j'étais plus jeune alors, Et bien meilleure, je crois" et ai dépassé l'âge d'être émerveillée par un sale con? à méditer).

Face à lui, la Tatiana d'Ekaterina
Scherbachenko (la photo n'est pas une photo du spectacle, attention! :-) était lumineuse, émouvante, déchirante, même. Son timbre éclatant est fait pour Tatiana. Vocalement, après la Tatiana de Galina Vishnevskaya, c'est pour moi la meilleure. Comment puis-je dire si c'est la meilleure ou pas? Vous pensez peut-être que je vais maintenant étaler devant vous mon éruditon musicale? Détrompez-vous. Je n'ai qu'un seul critère, que j'ai trouvé grâce à un vieil ami de famille qui est venu à l'opéra sur le tard. Il m'avait un jour avoué n'avoir qu'un seul critère pour savoir si un chanteur était bon ou pas: la chair de poule. Si un chanteur vous donne la chair de poule, c'est que c'est "le vôtre". Et lorsqu'on ressent ses "petits fourmis dans le dos" (comme on dit en russe), on se rend compte qu'on s'en fout du reste: des autres solistes, des décors, des costumes - tout ça n'est qu'accessoire. Et c'est ça qui est génial avec l'opéra, c'est que ces "fourmis" ne sont pas les mêmes pour tous, et que vous pouvez les avoir avec un chanteur qui laisse de marbre votre voisin. Au fond, je suis persuadée que c'est pour ça que les gens retournent à l'opéra. Non, vraiment, il faudrait que je le termine, ce livre sur la "jouissance de l'amateur d'opéra". Je vous en reparle!

PS: Les photos ne sont pas de moi, mais d'un utilisateur de ce forum russe (malheureusement, on ne peut les visionner qu'après inscription - entièrement en cyrillique - aussi je me suis permise d'en reprendre quelques unes!)
PPS: Il y avait plein de caméras à la générale, j'en déduis qu'il y aura un DVD bientôt!