
Deux couples. Quatre corps. Entre eux, une musique, tendue comme un filet, épouse leurs mouvements tantôt fougueux, tantôt violents, tantôt maladroits. Au-dessus de leurs têtes, une lumière blanche s'écrase sur le sol en dessinant de grandes baies encadrées par des ombres fines et droites. Quatre danseurs, quatre humains - mais qu'est-ce qui les meut? Sont-ce des muscles, des nerfs, des ligaments? Ou est-ce une essence sublime qui se soustrait à leurs désirs? Jamais je n'ai vu des danseurs bouger en telle harmonie avec les sons. Dans leurs veines coule une musique étrange, organique, dont le flot semble diriger leurs gestes. Triade, la nouvelle création du chorégraphe Benjamin Millepied, sur la musique de Nico Muhly, est la pièce maîtresse de cet hommage à Jerome Robbins que propose l'Opéra de Paris (jusqu'au 30 septembre).
Vous pouvez voir un extrait de Triade sur le site de l'Opéra de Paris; et, pour vous donner une idée du style de Benjamin Millepied, voici un extrait du superbe solo qu'il a créé pour Michail Baryshnikov il y a quelques années, Years later (pour ceux que le début ennuierait - personnellement, je le trouve très beau - la "vraie" danse commence à 2:28)
--video Years later par Baryshnikov--
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Pour ce qui est du reste de la soirée, j'ai trouvé peu d'intérêt à En Sol et In the night: la chorégraphie de Robbins, lorsqu'il crée dans un registre romantique, est stérile, à moins qu'elle ne soient servie par des interprètes de génie, ce qui ne fut pas le cas jeudi soir. Il reprend les mouvements de la danse classique, mais n'en fait qu'un exercice de style dénué de toute histoire, voire de sens, c'est joli à voir mais d'un académisme extrêmement ennuyeux qui plombe la musique de Chopin (qui est un des compositeurs les moins adaptés à la danse classique; le chorégraphe qui s'en est le mieux sorti est probablement John Neumeier avec sa Dame aux Camélias). C'était probablement frais et intéressant il y a vingt ans, aux Etats-Unis où la danse classique est dépourvue de racines; mais ces ballets ont mal vieilli. Mais le génie de Robbins est de savoir concilier la danse classique et l'humour (on connaît bien sa chorégraphie de West Side Story, ou encore Interplay où il mêle des éléments de danse jazz, de danses populaires et du ballet classique), ainsi que son sens de géométrie dans des pièces minimalistes comme l'excellente Glass Pieces.
Le dernier ballet de la soirée, The Concert, est un franc éclat de rire - une parodie exquise où l'on découvre notamment le talent comique d'Eleonora Abbagnato (que je n'aime pas normalement, qui était parfaite ici, même si j'aurais préféré voir Dorothée Gilbert). La troupe de l'Opéra de Paris semble bien s'amuser sur scène dans cette oeuvre qui desserre un peu le carcan de la danse classique. Faites attention au rideau de scène dessiné par Saul Steinberg, superbe.