L'Elégance du hérisson de Muriel Barbery | Une Russe à Paris
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jeudi 15 novembre 2007

L'Elégance du hérisson de Muriel Barbery

On me dira, "tu as une réaction de girafe, ça fait des siècles que ce bouquin est sorti et que tout le monde en parle". Ben oui, je sais. Mais bon, des fois je perds la foi en la littérature contemporaine scandée par les rentrées littéraires et attends patiemment que le temps fasse son travail... Finalement, ce livre a atterri sur mon bureau.

Pour ce livre, il y aura deux critiques séparées: une pour ce qui précède la page 319, et l'autre pour la fin.

Critique 1: J'étais assez sceptique face à cette histoire de "concierge pas comme les autres" (les miennes ont toujours été comme les autres) se liant d'amitié à un japonais richissime et esthète. Mais passé le premier chapitre, le charme opère. Renée (Madame Michel), une concierge de 54 ans, autodidacte, âme fine dans un monde de brutes, est dotée d'une sensibilité artistique et d'un sens de l'humour redoutables mais dont les habitants de l'immeuble ne se doutent pas. Il y a aussi une autre histoire - celle d'une petite fille de 12 ans, surdouée, âme fine dans un monde de brutes, tellement différente de sa famille gauche caviar qu'elle en est à penser au suicide. Et puis il y a M.Ozu, le japonais qui achète l'appartement du 4ème, et qui est le seul à savoir reconnaître les âmes fines dans ce monde de brutes. Les dès sont jetés. L'histoire commence.

Cheesy? A ma surprise, non (et je suis TRES allergique à ce genre de choses). C'est subtil comme un thé vert japonais (les adeptes du Lipton en disent "C'est du foin", les amateurs de thé y trouvent des milliers de nuances), léger comme une madeleine bien faite, amer comme Anna Karénine et drôle comme... Muriel Barbery, car je crois bien que le livre le tient d'elle.

Madame Michel se passionne pour les arts, le cinéma japonais, les romans russes et la philosophie, le tout avec cette approche d'autodidacte qui a de génial cette capacité d'expliquer les théories tordues avec les mots de tous les jours. Tel l'idéalisme d'Edmund Husserl: "Peut-être mon chat, que j'appréhende présentement comme un quadrupède obèse à moustaches frémissantes et que je range dans mon esprit dans un tiroir étiqueté "chat", est-il en vérité et en son essence même une boule de glu verte qui ne fait pas miaou". Elle est toujours à la recherche de wabi, ce qui en japonais veut dire "une forme effacée du beau, une qualité de raffinement masqué de rusticité". C'est bien décrire tout le roman, incontestablement wabi.

Paloma, la petite fille surdouée, passe ses jours à traquer les pensées profondes (qu'elle note dans son journal) et les instants de beauté dans les mouvements a priori ordinaires. Fan de grammaire, de japonais et de musique, elle est intransigeante et très touchante dans cette opiniâtreté.

Enfin, les habitants de l'immeuble (rue de Grenelle), c'est une belle bande de cons masqués en intellectuels "rive gauche" (ils sont rarement démasqués), décrits avec un humour grinçant et amer. Bien sûr, c'est exagéré, bien sûr, nous deviendrions tous comme ça si l'on était à leur place, mais quel plaisir de lire les répliques de ces spécimens de collection!

Quelques reproches tout de même: pour ma part, ce seront surtout les excès de morale (Muriel Barbery se prend pour Tolstoï, alors que les passages moralisateurs sont insupportables déjà chez celui-ci, malgré le génie!), et l'abus de métaphores: si je trouve que ce n'est pas la peine de recourir aux comparaisons fleuries à tout bout de champ (je refuse de voir la télécommande comme un "rosaire laïc").

Critique 2. A la page 319, patatra! Muriel Barbery contracte le virus Schmitt-Coelho qui contamine (dans votre esprit) le reste du livre. Un drogué revenu à la vie normale après avoir vu un camélia (et en plus, maintenant il travaille dans un magasin d'accastillage et sort avec une brave fille); une mort stupide qui sauve une vie et nous fait réfléchir (pouah!); et la conclusion que la beauté de ce monde, ce sont les "toujours dans le jamais", les parenthèses dans le temps. Cheesy? Tu parles! Même si, à la fin, Madame Michel et M.Ozu s'étaient mis à se rouler des pelles sur le seuil de sa loge de concierge sous une pluie battante, ça aurait été moins niais.
"Tout ça pour ça", - a-t-on envie de dire... Non, pour moi, ce livre aurait dû rester non-terminé.

A qui je recommanderais ce livre? A ceux qui lisent avec plaisir, aiment s'arrêter sur une tournure réussie, un mot, une métaphore... A ceux qui aiment les belles histoires originales. A ceux qui aiment la littérature russe (les clins d'oeil vous feront plaisir).

A voir également: le blog de Muriel Barbery.

L'Elégance du hérisson, 359 p. 20€
Muriel Barbery
Ed. Gallimard

6 commentaires:

CresceNet a dit…
Ce message a été supprimé par un administrateur du blog.
CresceNet a dit…
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tiusha a dit…

5ème paragraphe: la petite surdouée c'est Paloma pas Colombe, non?

je suis en train de le lire et j'avoue que j'ai un peu de mal avec l'alternance des deux narrateurs, je n'accroche pas trop. Je me demande si je n'aurais pas préféré lire les deux versions l'une à la suite de l'autre...

Une Russe à Paris a dit…

Bien vu! Il s'agit de Paloma, effectivement (c'est rectifié). Je les confonds, car Paloma veut justement dire colombe!

En ce qui concerne l'alternance des narrateurs, je crois qu'au début j'avais également du mal, ça me semblait laborieux, mais plus loin dans le livre ça a tout son sens!

Mais je suis d'accord, on aurait pu en faire deux romans (ou nouvelles)...

Tu me diras ce que tu en as pensé quand tu auras fini!

Anonyme a dit…

j'ai moi aussi été agacée par bon nombre de passages dans ce livre. L'alignement en continu de citations est ce qui m'a le plus dérangée. Citer Tolstoï ne fait pas de vous Tolstoï, je ne sais pas si l'auteur l'a compris...C'est la logique du "culturel pour le culturel", "je cite donc je suis quelqu'un de cultivé". Ce genre de système ne mène généralement nulle part...

Une Russe à Paris a dit…

Les citations m'ont moins ennuyées (à part peut-être le philosophe allemand dont elle parle sans arrêt), car pour la plupart (en ce qui concerne la littérature russe) je les connaissais déjà par coeur depuis le lycée, je ne les voyais donc pas comme de l'étalage de références culturelles... En revanche, à un moment ça commence à sentir le Paulo Coelho et là j'ai du mal!